L ' HIVER DE LOUIS XIV
Un texte de Max Gallon de l’Académie Française ( Figaro 25 07 2008)
1709. Un froid glacial tombe sur
Mais Louis XIV se bat, lèvres serrées, marchant droit parmi les courtisans, altier, souverain, comme si ses souffrances domptées n'existaient plus. Et il tient Conseil, chapeau sur la tête, attentif à toutes les affaires, interrogeant le contrôleur général Desmarets, le ministre des Affaires étrangères Jean-Baptiste Colbert de Torcy - le neveu du grand Colbert. A les écouter, Louis XIV a le sentiment que le royaume est en proie à des maladies aussi douloureuses que celles qui assaillent son corps.
Car c'est la 'guerre contre
Les défaites se sont accumulées. Les caisses sont vides. Les armées démunies. Fénelon, archevêque de Cambrai, écrit : « Si le roi venait en personne sur la frontière, il verrait qu'on manque de tout, et dans les places en cas de siège, et dans les troupes faute d'argent. Il verrait le découragement de la discipline, le mépris du gouvernement, l'ascendant des ennemis, le soulèvement secret des peuples et l'irrésolution des généraux. »
La citadelle de Lille tombe le 8 décembre 1708 aux mains du prince Eugène de Savoie, le meilleur chef de guerre, avec le duc de Malborough, de la coalition.
Temps funestes, qui rappellent ces années 1693-1694, quand une Lettre anonyme à Louis XIV avait circulé, sans doute écrite par Fénelon, déjà !
« Vos peuples, que vous devriez aimer comme vos enfants et qui ont été jusqu'ici si passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres est. presque abandonnée, les villes et les campagnes se dépeuplent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti. Par conséquent, vous avez détruit la moitié des forces réelles dedans de votre Etat pour défendre de vaines conquêtes au dehors...
L'injustice violente de ces propos avait, en 1694, suscité le mépris de Louis XIV. Il connaissait l'état du royaume et la misère de ses peuples.
Durant deux années, on ne récolte plus. On meurt de faim, d'épidémie, de scorbut. D'août 1693 à juillet 1694, on dénombre près de 2 millions de morts, plus que durant toutes les « grandes guerres » à venir. On se nourrit de pain de son, d'orties cuites, d'entrailles nauséabondes de bestiaux.
Comment oublier ces années-là quand, en 1708-1709, comme une réplique, après un automne 1708 rigoureux, le froid glacial (-
Les régiments des gardes françaises et suisses, commandés par le lieutenant général de police d'Argenson, répriment une émeute au Palais-Royal. Au moins 40 morts. Le maréchal de Boufflers, rue Saint-Denis, a vu des femmes de
« Dites au roi notrè misère ! » crient les meneurs au maréchal.
Louis XIV ordonne, comme il l'a fait il y a quinze ans, de faire porter sa vaisselle d'or et d'argent à
Et s'il y a blocus anglais, qu'on le force ! Cependant, le roi ne s'illusionne pas. Ces achats de blé ne peuvent suffire. Les rapports des intendants signalent toujours des révoltes, des « émotions paysannes ».
L'intendant du Bourbonnais a été assailli par 800 « vilains » et n'a dû son salut qu'à la fuite. Des bandes de paysans, de soldats déserteurs, de mendiants attaquent les châteaux et les couvents pour piller les réserves de grain qu'ils imaginent y trouver.
Le carrosse de M. le Dauphin a été arrêté à Paris par des femmes enragées, et il n'a pu se sauver qu'en leur jetant des poignées de pièces. Et certaines de ces femmes de
Le royaume va-t-il sombrer dans le désordre et la révolte ? Louis XIV se souvient de son enfance, ces années de Fronde, ces « mazarinades » dont on accablait le cardinal-ministre. Aujourd'hui, c'est le roi que visent les pamphlets.
« Notre père qui êtes à Marly
Votre nom n'est plus glorieux
Votre volonté n'est faite
Ni sur la terre ni sûr la mer
Rendez-nous aujourd'hui notre pain
Parce que nous nous mourons de faim... »
Louis est blessé. Il s'inquiète. Les protestants du Vivarais ont repris les armes et il faut distraire des troupes indispensables sur les frontières pour réduire ces camisards.
Il écoute, le. quatrième dimanche de carême, le sermon du père Massillon : « La main du Seigneur est étendue sur nos peuples dans nos villes et dans les campagnes : vous le savez et vous vous en plaignez. Le ciel est d'airain pour ce royaume affligé, la misère, la pauvreté, la désolation, la mort, marchent partout devant nous. » Et le contrôleur général Desmarets juge en Conseil que « la disposition d'esprit de tous les peuples est mauvaise. Ils sont prêts, tenaillés par la misère, la faim, le désespoir, à la révolte. A tous ces maux, il n'est possible de trouver des remèdes que par une prompte paix. »
Louis XIV se résout à envoyer Colbert de Torcy à
Le roi devrait faire boucher le port du Havre et raser Dunkerque ! Il céderait l'Alsace et
Ils veulent donc l'humiliation de Louis le Grand et la soumission du royaume de France, le reniement de la politique de Richelieu.
Croient-ils que les sujets du royaume respecteraient un roi abandonnant son petit-fils ? Se liguant contre lui ? « Puisqu'il faut faire la guerre, dit Louis XIV, j'aime mieux la faire à mes ennemis qu'à mes enfants. »
Il dicte une lettre à ses sujets. Il veut, dit-il à Torcy, que les évêques fassent des mandements avec les principaux passages de cet appel.
Il veut que les curés, dans toutes les paroisses de France, lisent ces mandements après la grand-messe. Il veut que les gouverneurs et commandants de province distribuent l'appel et le collent en placard aux carrefours des rues de toutes les villes du royaume. Il doit parler à ses peuples.
« Mes sujets sauront les raisons de leur roi. »
+t-il, était si généralement répandue dans mon royaume, que je crois devoir à la fidélité que mes peuples m'ont témoignée pendant le cours de mon règne la consolation de les informer des raisons qui empêchent encore qu'ils ne jouissent du repos que j'avais désiré leur procurer. »
Le Roi-Soleil «- informe » donc ses sujets. Il expose les raisons qui l'Ont conduit à refuser les exigences de
Il affirme «'sa tendresse pour ses peuples qui n'est pas moins vive que celle qu'ila pour ses propres enfants ». Il répète son désir de les « faire jouir de la paix », mais pas à des « conditions qui sont contraires à la justice et à l'honneur du peuple français ».
Louis XIV en appelle au sentiment national et il est entendu. On s'engage dans
Le maréchal de Villars RELIT à ses troupes la lettre de Louis XIV. Les soldats crient « Vive le roi ! », brandissent leurs fusils armés de baïonnettes.
« Nous voici à la veille des grandes actions qui peuvent décider du salut de l'Etat », dit Villars.
En effet, le royaume ne sera pas englouti par ce que Saint-Simon nomme « les années funestes », cette « horrible lie des temps ». C'est même durant cette période, poursuit le mémorialiste, que Louis XIV a le plus mérité le nom de Grand.
« Le roi laissa voir avec simplicité la grandeur de son âme, sa fermeté, sa stabilité, son égalité, un courage à l'épreuve des plus épouvantables revers et des plus cuisantes peines, une force d'esprit qui ne se cache rien, qui ne dissimule rien, qui voit les choses comme elles sont ; qui de là s'humilie en secret sous la main de Dieu et espère tout, contre toute espérance, affermit sa main sur le gouvernail jusqu'au bout, ne se rebute de rien, conserve son extérieur dans tout l'ordinaire de sa vie, toute sa majesté avec une égalité si simple et si peu affectée que l'étonnement et l'admiration qui en naissaient... fut tous les jours nouvelle, en sorte que nul ne pouvait s'y accoutumer. »
Dans l'hiver de sa vie et de son règne, Louis XIV reste le Roi-Soleil.