Les pérégrinations mortuaires de Fénelon
Les pérégrinations des cendres de Fénelon,
le Cygne de Cambrai
François de Salignac de la Mothe Fénelon décède le 7 janvier 1715 à 5h 15 du matin, à l’âge de 65 ans ,suite à un accident, sa voiture ayant versé le 1er janvier soit 6 jours plus tôt. On constatait une hyperthermie marquée et un point de côté classique. Le médecin du roi Louis XIV – Chirac – envoyé sur place constata « une inflammation de poitrine avec fièvres intense et douleurs aigües ».
Embaumé immédiatement (avec la boite crânienne sciée), on détecta « des poumons ulcérés et dans un état déjà avance de purulence ». Ce qui confirme sa pneumonie. Après son embaumement, son corps fut exposé dans le grand salon du palais épiscopal tendu de noir ainsi que le vestibule et le portique d’entrée. Pendant toute la mâtinée, des messes avaient été dites devant le lit de parade.
PREMIERE INHUMATION
L’inhumation se fit le lendemain du décès – le 8 janvier – sans aucune pompe, dans l’après-midi ; après le chant des complies, le Chapitre vint procéder à la levée du corps et le modeste cortège gagna la cathédrale, à la lueur des torches. Le trajet jusqu’à sa mise en terre, prés du chœur de la cathédrale, fut très court puisque le portail du palais episcopal (entrée sous- préfecture actuelle) touchait la cathédrale Notre -Dame, la perle des Flandres.
Il y resta pendant 5 ans.
Question : pourquoi des funérailles dans une telle discrétion sans la présence du corps alors que des funérailles solennelles s’étalèrent sur plusieurs jours, les Cambrésiens lui rendant hommage ? Etait-ce parce qu’il était en disgrâce de Louis XIV et que l’on préférait jouer la discrétion ? Y avait-il d’autres raisons ?
Des funérailles solennelles furent en effet organisées les 18 et 19 janvier suivants prolongées jusqu’au 23, selon « le billet de mort », reproduit au Tome 17 des Mémoires de la Société d’émulation….. toujours sans la présence comme telle du corps.
En 1720, on construit sous le maitre autel un caveau pour les archevêques. Le 28 mars on y transfère la dépouille de Fénelon dans un four, fermé par une plaque indiquant en latin que la dépouille de l’archevêque de Cambrai s’y trouvait. 4 ans plus tard, le marquis de Fénelon, fait ériger un mausolée avec un buste en marbre, par Lemoyne, sculpteur ordinaire du roi, sur le tombeau de son grand oncle. Ce buste, un peu détérioré, est actuellement conservé au musée de Cambrai.
LA REVOLUTION
Arrive la révolution. Dès 1793, la cathédrale est fermée et transformée en grange. Comme on manque de plomb pour fabriquer des balles, le Comité de salut public demande l’exhumation de tous les cercueils de plomb se trouvant dans les églises de France. Dans le cas de la cathédrale de Cambrai, on envoie les cercueils par charrette à la fonderie de Douai sous la surveillance d’un administrateur adjoint du directoire du district, appelé Bernard Canonne avocat, à Cambrai. Le Comité de salut public, par mesure d’hygiène demandait à ce que l’ouverture des cercueils se fasse à Douai.
En ouvrant le caveau de Fénelon, on s’aperçut d’une mauvaise conservation de la bière et de son contenu. Est-ce que l’embaumement avait été mal fait ou mauvaises les conditions d’hygiène ? Ne restait que le squelette. Le cercueil était disjoint, le couvercle affaissé. Un ouvrier s’introduisit dans le four pour ne recueillir que des lames de plomb en laissant sur place le squelette. C’est grâce à cela que les restes de Fénelon ont pu être conservés.
Le 6 juin 1796, la cathédrale est vendue à un certain Blanquart de St Quentin qui récupère toutes les pierres, seule la flèche resta debout. Les fours et les caveaux furent ainsi comblés pendant 7 ans.
Après la tourmente révolutionnaire, un des premiers actes du gouvernement fut de se préoccuper des cendres de Fénelon. En 1801, le ministre de l’intérieur écrivit au sous- préfet de Cambrai qui en référa au procureur Farez. Ce dernier se rappela de Canonne à qui l’on demanda de rassembler tous ses souvenirs. « Toutes les circonstances qui accompagnèrent l’ouverture du tombeau, répondit Canonne, sont encore présentes à ma mémoire. Le nom de Fénelon était gravé sur la pierre qui fermait le four. L’ouverture étant pratiquée, j’ai remarqué dans le four un calice d’étain ou de plomb avec 2 chandeliers du même métal que le temps avait consumé et presque dissout. Le cercueil de plomb était dans le même état. Le plomb fut envoyé à Douai mais les restes de Fénelon furent soigneusement conservés dans le caveau. »
Le 27 juin 1804, le maire Douay prit un arrêté pour décombrer (sic) la sépulture des archevêques. Des sentinelles gardèrent le chantier jour et nuit, un cercueil de chêne fut commandé. Le très long travail aboutit le 4 juillet dans la soirée. A dessein sans doute et pour rendre indiscutable la découverte, des personnalités de tous ordres et de toutes professions assistèrent à l’opération. « Mgr Belmas, le maire, le sous préfet, le magistrat de sureté, le commissaire de police, la magistrature, des militaires haut gradés, l’administration municipale, le receveur de l’arrondissement, le receveur de la commune, le bibliothécaire de la ville, 2 notaires publics, 4 membres du bureau de bienfaisance… soit 34 témoins au total). Les signataires du procès verbal témoignèrent ainsi de ces retrouvailles avec les anciens caveaux des archevêques. On retrouve ainsi le squelette de Fénelon en 2 temps, compte tenu du déblaiement nécessaire, avec la calotte de crâne bien conservée, presque tous les os ainsi que la pierre qui autrefois fermait l’extrémité du four. Manquaient la mâchoire inférieure, une omoplate, les rotules, une partie du sternum et certains os des mains et des pieds
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TRANSFERT DANS LA NOUVELLE CATHEDRALE
Peu à peu le culte catholique se rétablit intégralement. Le 29 octobre 1822, on amène les restes de Fénelon dans la nouvelle cathédrale (l’ancienne chapelle de l’abbaye du Saint-Sépulcre). Un hommage solennel est rendu par les cambrésiens qui défilèrent pendant 3 jours de 8 h à 20h, les 26, 27 et 28 octobre avant de descendre les cercueils des anciens évêques dans la crypte, en grande pompe avec tous les cambrésiens au grand complet, officiels et population. Des plans se succédèrent aux plans pour ériger un monument à la mémoire de Fénelon. Les droits d’octroi furent ainsi augmentés d’1/4 pour l’érection de ce monument… mais cet argent finalement servit aux frais occasionnés pour la visite de Napoléon à Cambrai en avril 1810.
On pensa un moment utiliser ce qui restait de l’ancienne cathédrale Notre Dame – la flèche – comme motif central du monument. Cette idée fut abandonnée suite à un ouragan qui renversa la flèche en 1809.
En 1810, lors de la 2e restauration, l’idée est reprise. Une souscription est lancée : Laffitte banquier à Paris, offrit 1000 francs, le duc d’Angoulême de passage à Cambrai fit de même. Le roi Louis XVIII offrit le bloc de marbre. On pensa d’abord l’installer dans le square Fénelon (face à la sous -préfecture actuelle) pour finalement l’installer dans la nouvelle cathédrale. David d‘Angers réalisa la statue et les bas reliefs. La première pierre du mausolée fut posée le 16 aout 1823. Les travaux durèrent 2 ans, l’inauguration officielle eut lieu le 7 janvier 1826. Les restes de Fénelon furent déposés dans le sarcophage le 21 juillet 1824.
NOUVELLE EXPERTISE 1912
Dès 1890, on se pose la question « sommes-nous vraiment en possession du corps de Fénelon ? », le procès-verbal de 1824 du transfert des restes depuis le cercueil dans le sarcophage ayant été perdu. Différentes hypothèses (voire rumeurs) circulaient sur l’endroit exact où il reposait. On demande alors l’autorisation d’ouvrir le monument et de s’assurer ainsi de son état de conservation en novembre 1911, permission accordée en février 1912 et réalisée le 4 mars 1912.
Le squelette est retrouvé et reconstitué dans la grande sacristie du chapitre, sur une immense table recouverte d’un drap blanc : Fénelon avait une taille de 1m 80, proportions qui correspondent à la statue réalisée par Bougron et actuellement au musée ainsi que la description de Saint- Simon « le prélat était un grand homme, maigre, bien fait ». Un procès verbal est dressé et on remise les restes de Fénelon dans un suaire de soie violette. Le cercueil est hermétiquement fermé avec du plomb. On le replace sous la statue dans le tombeau de David d’Angers, derrière les bas reliefs.
C’est là que repose Fénelon, Monsieur de Cambrai, archevêque-duc de cette même ville, prince du Saint-Empire, comte du Cateau- Cambrésis, ancien précepteur du dauphin le duc de Bourgogne, petit fils de Louis XIV, académicien , écrivain… au milieu des siens. Il aura passé vingt années -1695- 1715 - à la tête du diocèse de Cambrai, au terme d’une vie bien remplie « sans le sou mais sans dette ». Apprenant la disparition de Fénelon, le roi aurait déclaré « Il nous aurait été utile en certaines circonstances. Le 1 septembre de la même année, Louis XIV disparaissait à son tour.
Synthèse réalisée par Régis BOULANT, d’après le document de l’expert médical le docteur G.Dailliez rédigé lors de l’ouverture du mausolée de Fénelon en 1912, et extrait du tome LXVII des Mémoires de la Société d’émulation de Cambrai.