Joseph Clement Electeur de cologne
Sermon de Fénelon pour le sacre de l'Electeur de Cologne
Œuvres complètes de Fénelon Morale et spiritualité tome 17 1830 Paris Gauthier Frères
JOSEPH-CLÉlMENT DE BAVIÈRE, électeur de Cologne, fils de Ferdinand Wolfangt duc de Bavière, et de Henriette Adélaïde de Savoie, naquit le 5 décembre 167 1 . Dès l'âge de quinze ans, il fut élut évêque de Ratisbonne et de Frisingue. Deux ans après , il obtint du pape Innocent XI un bref d'éligibilité pour l'archevêché de Cologne et pour les évêchés de Liège et de Hildesheim, à condition que lorsqu’ il serait promu à ces trois siéges, ou seulement à l'un d'eux, il renoncerait aux évêchés de Ratisbonne et de, Frisingue. Il fut effectivement élu archevêque et électeur de Cologne, le 10 juillet 1688, sept jours après la .mort de Maximilien-Henri de Bavière, son cousin, et confirmé par un bref du 20 septembre 1688 qui lui accordait en mémo temps la permission de conserver les évêchés .de Ratisbonne et de Frisingue, jusqu'à ce qu'il pût entrer en possession des biens de l'Eglise de Cologne. Ce premier bref fut suivi en i689 d'un autre qui autorisait l'électeur à accepter les évêchés de Liège et de Hildesheim. En conséquence de ce bref, il fut élu, le 28 janvier i694 coadjuteur de ce dernier siège, dont, il devint titulaire le 13 août 1702, par la mort de Joseph-Edmond, baron de Brabeck : et le 2o avril de la même année 1694, il fut élu évêque et prince de Liège, à la place de Jean-Louis d'Elderen, mort le 1er février précédent. L'électeur de Cologne parvint ainsi à réunir sur sa tête cinq évêchés différents, quoiqu'il ne fût pas même dans les ordres sacrés : cet abus avait alors prévalu en Allemagne , et l'histoire de cette époque en offre plusieurs exemples. « Une concession de cette nature, comme l'a judicieusement observé un écrivain récent, faite par un pape aussi régulier et même aussi sévère qu'Innocent XI,, ne peut s'expliquer que par les instances importunes de grandes puissances, qui » se croyaient en droit d'obtenir tout ce qu'elles désiraient. La maison » de Bavière, la famille catholique d'Allemagne la plus puissante après la maison d'Autriche, avait sollicité avec chaleur des dispenses qui n'étaient malheureusement pas sans exemple. Les avoir arrachées une fois, paraissait un titre pour les extorquer encore.» La maison d'Autriche, liée alors avec l'électeur de Bavière, avait appuyé ses demandes, et on n'avait pas cru apparemment qu'il fût possible de résister à de si puissantes interventions.
Depuis 1688 jusqu'en 1707, l'électeur se contenta de jouir de ses revenus ecclésiastiques, sans se mettre en devoir de recevoir la consécration épiscopale, ni même les ordres sacrés. Mais s'étant déclaré pour, la France, aussi bien que l'électeur de Bavière, son frère, dans la guerre de la succession d'Espagne , tous deux furent dépouillés par l'empereur de leurs états d'Allemagne et obligés de chercher un asile en France. Pendant son séjour en ce royaume, l'électeur de Cologne ayant eu occasion de voir Fénelon à Cambrai, conçut 'aussitôt pour l'illustre prélat les sentiments d'estime et de vénération qu'il avait coutume d'inspirer à tous ceux qui l'approchaient. Fénelon profita de ces heureuses conjonctures pour lui. inspirer des sentiments et une conduite plus conformes à l'esprit de la religion et aux règles de l'Eglise. Il lui fit sentir que les dispenses qu'il avait obtenues du Saint Siége pour éloigner sa promotion aux ordres sacrés, ne dégageaient sa conscience, ni devant Dieu ni devant lés hommes. L'électeur entendit avec docilité la voix dé la religion, à laquelle sa profonde vénération pour l'archevêque de Cambrai ajoutait une nouvelle force. La seule crainte du redoutable fardeau de l'épiscopat lui fit différer son sacre de quelques années, pour s'y mieux préparer par les pratiques de piété que Fénelon lui conseilla. Il reçut enfin les ordres sacrés, vers la fin de l'année 1706, dans la chapelle des jésuites de Lille, où il célébra sa première messe avec une grande pompe, le premier jour de l'année 1707. Le 1er mai suivant il reçut, dans l’église collégiale de Saint-Pierre de la même ville, la consécration épiscopale des mains de Fénelon, assisté des évêques d'Ypres et: de Namur .
LE DISCOURS DU SACRE
Depuis que je suis destiné à être votre consécrateur, prince que l’Eglise voit aujourd'hui avec tant de, joie prosterné au pied des autels, je ne lis plus aucun endroit de l’Ecriture qui ne me fasse quelque impression par rapport à votre personne. eMais voici les paroles qui m’ont le plus touché : « Etant libre à l'égard de tous, dit l'Apôtre, je me suis fait esclave de tous, pour en gagner un plus grand nombre. « Cum liber esse ex omnibus, omnium me servum feci, ut pleures lucrifacerém »
Quelle grandeur se présente ici de tous côtés ! Je vois une maison qui remplissait déjà le trône impérial il y a près de quatre cents ans. Elle a donné à l'Allemagne deux empereurs, et deux branches qui jouissent de la dignité électorale. Elle règne dans la Suède, où un prince, au sortir de l'enfance, est devenu tout-à-coup la terreur du Nord. Je n'aperçois que les plus hautes alliances des maisons de France et d'Autriche : d'un côté, vous êtes petit-fils de Henri le Grand, dont la mémoire ne cessera jamais d'être chère à la France; de l'autre côté, votre sang coule dans les veines de nos princes, précieuse espérance de la nation. Hélas! nous ne pouvons nous souvenir qu'avec douleur de la princesse à qui nous les devons .et qui fut trop; enlevée au monde !
« mais l’amour, comme saint Bernard le disait au pape Eugène, n'est point retenu parle respect... Je vous parlerai, non pour vous instruire, mais pour vous con jurer comme une mère tendre. Je veux bien paraître indiscret à ceux qui n'aiment point, et qui ne se sentent pas tout ce qu’un véritable, amour fait sentir. »
Pour vous, je sais que vous avez le goût de la vérité, et même de la vérité la plus forte. Je ne crains point de vous déplaire en la disant : daignez donc écouter ce que je ne crains pas de dire. D'un côté, l'Eglise n'a aucun besoin du secours des princes de la terre, parce que les promesses de son époux tout-puissant lui suffisent; d'un autre côté, les princes qui deviennent pasteurs peuvent être très-utiles à l’Eglise, pourvu qu'ils s'humilient, qu'ils se dévouent au travail, et qu'on voie reluire en eux toutes les vertus pastorales. Voilà les deux points que je me propose d'expliquer dans ce discours.
PREMIER POINT.
Les enfants du siècle, prévenus des maximes d'une politique profane, prétendent que l'Eglise ne saurait se passer du secours des princes, et de la protection de leurs armes, surtout dans les pays où les hérétiques peuvent l'attaquer. Aveugles, qui veulent mesurer l'ouvrage de Dieu par celui des hommes ! « C'est s'appuyer sur un bras, de chair; c'est anéantir la croix de Jésus-Christ ». Croit-on que l'époux tout-puissant, et fidèle dans ses promesses, ne suffise pas à l'épouse ?
« Le ciel et la terre passeront, mais aucune de ses paroles ne passera jamais »Luc 21,33.
O hommes faibles et impuissants qu'on nomme les rois et les princes du monde, vous n'avez qu'une force empruntée pour un peu de temps : l'époux, qui vous la prête, ne vous la confie qu'afin que vous serviez l'épouse. Si vous manquiez à l'épouse, vous manqueriez à l'époux même ; il saurait transporter son glaive en d'autres mains.
Souvenez-vous que c'est lui qui est « le Prince des rois de la terre Apo 1,5 le roi invisible et immortel des siècles 1 Timo 1,17. »
Il est vrai qu'il est écrit que l'Eglise « sucera le lait des nations, qu'elle sera allaitée de la mamelle des rois, qu'ils seront ses nourriciers, qu'ils marcheront à la splendeur de sa lumière naissante, que ses portes ne se fermeront ni jour ni nuit, afin qu'on lui apporte la force des peuples, et que les rois y soient amenés » : mais il est dit aussi que les rois viendront, « les yeux baissés vers la terre, se prosterner devant l'Eglise, qu'ils baiseront la poussière de ses pieds Isaie 60 et seq; que n'osant parler, ils fermeront leur bouche devant son époux; que toute nation et tout royaume qui ne sera point dans la servitude de cette nouvelle Jérusalem périra. Trop heureux donc les princes que Dieu daigne employer, à la servir! Trop honorés ceux qu'il choisit pour une si glorieuse confiance.
Et maintenant; O rois, comprenez, instruisez-vous, O juges-de la terre: servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement, de peur que sa, colère ne s'enflamme, et que mous ne périssiez en vous égarant de la voie de la justice Psaume 2 10 Dieu jaloux renverse les trônes des princes hautains, et il fait asseoir en leurs places des hommes doux et modérés ; il fait sécher jusqu'aux racines des nations superbes, et il plante les humbles pour les faire fleurir; il détruit jusque dans ses fondements toute puissance, orgueilleuse; il en efface même la mémoire de dessus la terre Psaume 33 17. Toute chair est comme l'herbe, et sa gloire est comme une fleur des champs : dès que l’(esprit du Seigneur souffle, celte herbe est desséchée, et cette fleur tombe Isaïe 40,6.
Que les princes ne se vantent donc pas de protéger l’Eglise; qu'ils ne se flattent pas jusqu'à croire qu'elle tomberait s'ils ne la portaient pas dans leurs mains. S'ils cessaient de la soutenir, le Tout-Puissant la porterait lui-même. Pour eux, faute de la servir; ils périraient , selon les saints oracles
Jetons les yeux sur l'Eglise, c'est-à-dire sur cette société visible des enfants de Dieu qui a été conservée dans tous les temps : c'est le royaume qui n'aura point de fin. Toutes les autres puissances s'élèvent et tombent; après avoir étonné le monde, elles disparaissent. L'Eglise seule, malgré les tempêtes du dehors et les scandales du dedans, demeure immortelle. Pour vaincre, elle ne fait que souffrir; et elle n'a point d'autres armes que la croix de son époux.
Considérons cette société sous Moïse: Pharaon la veut opprimer; les ténèbres deviennent palpables en Egypte; la terre s'y couvre d'insectes; la mer s'entrouvre ; ses eaux suspendues s'élèvent comme deux murs; tout un peuple traverse l'abîme à pied sec, un pain descendu du ciel le nourrit au désert; l’homme parla à la pierre, et elle donne des torrents : tout est miracle pendant quarante années pour délivrer l’Eglise captive:
Hâtons-nous ; passons aux Macabées : les rois de Syrie persécutent l'Eglise ; elle ne peut se résoudre à renouveler une alliance avec Rome et avec Sparte, sans déclarer en esprit de foi qu'elle ne s'appuie que sur les promesses de son époux.
Nous n'avons, disait Jonathas, aucun besoin de tous ces secours, ayant pour consolation les saints livres qui sont dans nos mains. Mac 12,9
Et en effet, de quoi l'Église a-t-elle besoin ici-bas? II ne lui faut que la grâce de son époux pour lui enfanter des élus; leur sang même est une semence qui les multiplie. Pourquoi mendierait-elle un secours humain, elle qui se contente d'obéir, de souffrir, de mourir, son règne, qui est celui de son époux, n'étant point de ce monde; et tous ses biens étant au-delà de cette vie?
Mais tournons nos regards vers l'Église, que Rome païenne, cette Babylone enivrée du sang des martyrs, s’efforce de détruire. L’Eglise demeure libre dans les chaînes, et invincible au milieu des tourments. Dieu laisse ruisseler, pendant trois cents ans; le sang de ses enfants bien-aimés. Pourquoi croyez-vous qu'il le fasse? C'est pour convaincre le monde entier, par une si longue et si terrible expérience, que l’Église, comme suspendue entre, le ciel et la terre, n'a besoin que de la main invisible dont elle est soutenue. Jamais elle ne fut si libre, si forte; si florissante, si féconde.
Que sont devenus ces Romains qui la persécutaient?
Ce peuple, qui se vantait d'être le peuple roi, a été livré aux nations barbares; l’empire éternel est tombé; Rome est ensevelie dans ses ruines avec ses faux dieux; il n'en reste plus de mémoire que par une autre Rome sortie de ses cendres, qui, étant pure et sainte, est devenue à jamais le centre du royaume de Jésus-Christ.
Mais comment est-ce que l’Eglise a vaincu cette Rome victorieuse de l'univers ? Ecoutons l'Apôtre :
Ce qui- est folie en Dieu est plus, sage que tous les hommes : ce gui est faible en Dieu est plus fort qu'eux. Voyez, mes frères, votre vocation; car il n'y a point parmi vous beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup d'hommes puissants, ni beaucoup de nobles: Mais Dieu a choisi ce qui est insensé selon le monde, pour confondre les sages; et il a choisi ce qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort : il a choisi ceqgui est bas et méprisable, et même ce qui n'est pas, pour détruire ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant lui. I Cor 1,25
Qu'on ne nous vante donc plus ni une sagesse convaincue de folie, ni une puissance fragile et empruntée : qu'on ne nous parle plus que d'une faiblesse simple et humble, qui peut tout en Dieu seul; qu'on ne nous parle plus que de la folie de la croix.
La jalousie. de Dieu allait jusqu'à sembler exclure de l’Eglise, pendant ces siècles d'épreuve, tout ce qui aurait paru un secours humain : Dieu, impénétrable dans ses conseils, voulut renverser tout ordre naturel. De là vient que Tertullien a paru douter si les Césars pouvaient devenir chrétiens Apol C 21. Combien coûta-t-il de sang et de tourments aux fidèles, pour montrer que l'Église ne tient à rien ici-bas ! « Elle ne possède pour elle-même, dit saint Ambroise, que sa seule foi » C'est cette foi qui vainquit le monde.
Après ce spectacle de trois cents ans, Dieu se ressouvint enfin de ses anciennes promesses ; il daigna faire aux maîtres du monde la grâce de les admettre aux pieds de son épouse.
Ils en devinrent les nourriciers,, et il leur fut, donné de baiser là poussière de ses pieds. Fut-ce un secours qui vint à propos pour soutenir l'Eglise ébranlée? Non, celui qui l’avait soutenu. pendant trois siècles, malgré les hommes, n'avait pas besoin de la faiblesse des hommes, déjà vaincus par elle; pour la soutenir. Mais ce fut un triomphe que l'époux voulut encore donner à l'épouse après tant de victoires; ce fut, non une ressource pour l’Eglise, mais une grâce et une miséricorde pour les empereurs. « Qu y a-t-il, disait saint Ambroise, de plus glorieux pour l'empereur que d'être nommé le fils de l'Eglise ?»
En vain quelqu'un dira que I'Eglise est dans l'état. L'Eglise, il est vrai, est dans l'état pour obéir au prince dans tout ce qui est temporel; mais, quoique. elle se trouve dans l'état, elle n'en dépend jamais pour aucune fonction spirituelle. Elle est en ce monde, mais c'est pour le convertir;, elle est en ce monde, mais c'est pour le gouverner par rapport au salut. Elle use de ce monde en passant; comme n'en usant pas; elle y est comme Israël fut étranger et voyageur au milieu du désert : elle est déjà d'un autre monde, qui est au-dessus de celui-ci. Le monde, en se soumettant à l'Eglise, n'a point acquis le droit de l'assujettir : les princes, en devenant les enfants de l'Eglise, ne sont point: devenus ses maîtres; ils doivent la servir, et non la dominer; baiser la poussière de ses pieds, et non lui imposer le joug. « L'empereur; disait saint Ambroise , est au dedans de l'Eglise : mais » il n'est pas au-dessus d'elle. Le bon empereur cherche le secours de l'Eglise, et ne le rejette point. » L'Eglise demeura sous les empereurs convertis aussi libre qu’elle l’avait été sous les empereurs idolâtres et persécuteurs. Elle continua de dire au milieu de la plus profonde paix, ce que Tertullien disait pour elle pendant les persécutions :
« Non te terremus , qui nec timemus ». Nous ne sommes point à craindre pour vous et nous ne vous craignons. point. Mais prenez garde, ajoute- t-il de ne combattre pas contre Dieu »
En effet, qu’y a-t-il de plus funeste à une puissance humaine, qui n'est que faiblesse que d’attaquer le Tout-Puissant? « Celui sur qui cette pierre tombe, sera écrasé; et celui qui tombe sur elle se brisera » Math 21,44~:
S'agit-il de l’ordré civil et politique, l’Eglise n'a garde d'ébranler les royaumes de la terre, elle qui tient dans, ses mains les clefs du royaume du, ciel. Elle ne désire rien de tout ce qui peut être vu; elle n'aspire qu'au royaume de son époux, qui est le sien. Elle est pauvre, et jalouse du trésor de sa pauvreté; elle est paisible , et c'est elle qui donne au nom dé l'époux une paix que le monde ne peut ni donner ni ôter; elle est patiente, et c’est par sa patience jusqu' à la mort de la croix qu’elle est-invincible. Elle n'oublie jamais que son époux s'enfuit sur la montagne dès qu’on on voulut le faire roi; elle se ressouvient qu’elle doit avoir en-commun avec son époux la nudité et la croix, puisqu'il est « l’homme des douleurs, l'homme écrasé dans l’infirmité, l’homme rassasié d'opprobres. Elle ne veut qu'obéir; elle donne sans cesse l'exemple de là soumission et du zèle pour l'autorité légitime; elle verserait tout son sang pour la soutenir. Ce serait pour elle un second martyre après celui qu'elle a enduré pour la foi. Princes, elle vous aime; elle prie nuit et jour pour vous; vous n'avez point de ressource plus assurée que sa fidélité. Outre qu elle attire sur vos personnes et sur vos peuples les célestes bénédictions, elle inspire à. vos peuples une affection à. toute épreuve pour vos personnes, qui sont les images de Dieu ici-bas.
Si l'Eglise accepte les dons pieux et magnifiques que les princes lui font, ce n'est pas qu'elle veuille renoncer à la croix de son époux, et jouir des richesses trompeuses : elle veut seulement procurer aux princes le mérite de s'en dépouiller; elle ne veut s'en servir que pour orner la maison de Dieu, que pour faire subsister modestement les ministres sacrés, que pour nourrir les pauvres qui. sont les sujets des princes.. Elle cherche, non les richesses des hommes, mais leur salut; non ce qui est à eux, mais eux-mêmes. Elle n'accepte leurs offrandes périssables que pour leur donner les biens, éternels.
Plutôt que de. subir le joug des puissances du siècle et de perdre la liberté évangélique, elle rendrait tous les biens temporels qu’elle a reçus des princes...
« Les terres de l’Eglise, disait saint Ambroise paient le tribut; et si l’empereur veut ces terres, il a la puissance pour les prendre : aucun de nous ne s’y oppose. Les aumônes des peuples suffiront encore à nourrir les pauvres Qu’on ne nous rende point odieux par la possession où nous sommes de ces terres; qu’ils les prennent, si l'empereur les veut. Je ne les donne point mais je ne les refuse pas. .»
Mais s'agit-il du ministère spirituel donné à l'épouse immédiatement par le seul époux, l'Eglise l'exerce avec une entière indépendance des hommes. Jésus-Christ dit : Toute puissance m'a été donnée et clans le ciel et sur la terre. Allez donc; enseignez toutes les nations, les baptisant, etc Math 28,18. C'est cette toute-puissance de l'époux qui passe à l'épouse, et qui n'a aucune borne : toute créature sans exception y est soumise. Comme les pasteurs doivent donner, aux peuples l'exemple de la plus parfaite soumission et de l'a plus inviolable fidélité aux princes pour le temporel, il faut-aussi que les princes, s'ils veulent être chrétiens; donnent aux peuples à leur tour l'exemple dé la plus humble docilité et de la plus exacte obéissance aux pasteurs pour toutes les choses spirituelles. Tout ce que l'Église lie est lié, tout ce qu'elle remet est remis; tout ce qu'elle décide ici-bas est confirmé au ciel. Voilà la puissance décrite par le prophète Daniel.
L'Ancien des jours, dit-il a donné le jugement aux saints du Très-Haut, et le temps m'est venu, et les saints ont possédé la royauté. Ensuite le prophète dépeint un roi puissant et impie, qui proférera des blasphèmes, et qui écrasera les saints du Très-Haut : il croira pouvoir changer les temps et les lois, et ils seront livrés dans sa main jusqu’à un temps, et â des temps, et à la moitié d'un temps : et alors le juge serez assis ,afin que la puissance lui soit enlevée; qu’ il soit écrasé, et qu'il périsse pour toujours ; en sorte que la royauté, la puissance et la grandeur de la puissance sur tout ce qui est sous le ciel soit donnée au peuple des saints du Très-Haut, dont le règne sera éternel, et tous les rois lui serviront et lui obéiront. Daniel 7 ,22
0 hommes qui n’êtes qu’hommes quoique la flatterie vous tente d'oublier l'humanité et de vous élever au-dessus d'elle, souvenez-vous que Dieu peut tout sur vous; et que vous ne pouvez rien contre lui. Troubler l'Église dans ses fonctions, c’est attaquer le Trés-Haut dans ce qu'il a de plus cher, qui est son épouse; c'est blasphémer contre les promesses; c'est oser l'impossible; c'est vouloir renverser le règne éternel. Rois de la terre, vous vous ligueriez en vain contre le Seigneur et contre son Christ; en vain vous renouvelleriez les persécutions en les renouvelant, vous ne feriez que. purifier 1’Église, et que ramener pour elle la beauté de ses anciens jours.
En vain vous diriez : .Rompons ses liens, et rejetons son joug; celui qui habite dans les cieux rirait de vos desseins. Le Seigneur a donné à son Fils toutes les nations comme son héritage, et les extrémités de la terre comme ce qu’il doit posséder en propre.. Si vous ne vous humiliez pas sous sa puissante main, il vous brisera comme des vases d'argile. La puissance sera enlevée à quiconque osera s'élever contre l'Eglise.
Ce n'est pas elle qui l'enlèvera, car elle ne sait que souffrir et prier. Mais. si les princes voulaient l'asservir, elle ouvrirait son sein; elle dirait : Frappez; elle ajouterait comme les apôtres : Jugez vous-mêmes devant Dieu s'il est juste de vous obéir plutôt qu'à lui. Ici ce n'est pas moi qui parle, c'est le Saint-Esprit. Si les rois manquaient à la servir et à lui obéir, la puissance leur serait enlevée: Le Dieu des: armées, sans qui ou garderait en vain les villes, ne combattrait plus avec eux.
Non seulement les princes ne peuvent rien contre l'Eglise, mais encore ils ne peuvent rien pour elle, touchant le spirituel, qu'en lui obéissant. Il est vrai que le prince pieux et zélé est nommé l'évêque du dehors, et le protecteur des canons ; expressions que nous répéterons sans cesse avec joie, dans le sens modéré des anciens qui s'en sont servis. Mais l'évêque du dehors ne doit jamais entreprendre la fonction de celui du dedans. Ll se tient, le glaive en. main, à la porte du sanctuaire; mais il prend garde de n'y entrer pas. En même temps qu'il protége, il obéit; il protége les décisions, mais il n'en fait aucune. Voici les deux fonctions auxquelles il se borne : la première est de maintenir l'Eglise en pleine liberté contre tous ses ennemis du dehors, afin qu'elle puisse au-dedans, sans aucune gêne, prononcer, décider, conduire, approuver, corriger, enfin abattre toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu; la seconde est d'appuyer ces mêmes décisions, dès qu'elles sont faites sans se permettre jamais, sous aucun prétexte, de les interpréter. Cette protection des canons se tourne donc uniquement contre les ennemis de l'Eglise, c'est-à-dire contre les novateurs, contre les esprits indociles et contagieux, contre tous ceux qui refusent la correction. A Dieu ne plaise que le protecteur gouverne, ni prévienne jamais en rien ce que l’Eglise réglera! Il attend, il écoute humblement, il croit sans hésiter, il obéit lui-même, et fait autant obéir par l'autorité de son exemple, que par la puissance qu'il tient dans ses mains. Mais enfin le protecteur de la liberté ne la diminue jamais. Sa protection ne serait plus un secours, mais un joug déguisé, s'il voulait déterminer l'Eglise; au lieu de se laisser déterminer par elle. C'est par cet excès funeste que l'Angleterre a rompu le sacré lien de l'unité, en voulant donner l'autorité de chef de l'Eglise au prince, qui ne doit jamais en être que le protecteur.
Quelque besoin que l'Eglise ait d'un prompt secours contre les hérésies et contre les abus, elle a encore plus besoin de conserver sa liberté. Quelque appui qu'elle. reçoive des meilleurs princes, elle ne cesse jamais de dire avec l'Apôtre : Je travaille jusqu'à souffrir les liens comme si j'étais coupable; mais la parole de. Dieu que nous annonçons n'est liée par aucune puissance humaine. C'est avec cette jalousie de l'indépendance pour le spirituel, que saint Augustin disait à un proconsul, lors même qu'il se voyait exposé à la fureur des donatistes : « Je ne voudrais pas que l'église d'Afrique fût abattue jusqu'au point d'avoir besoin d'aucune puissance terrestre » Voilà le même esprit qui avait fait dire à saint Cyprien ; « L'évêque, tenant dans ses mains » l'évangile de Dieu, peut être tué, mais non pas vaincu: » Voilà précisément le même principe de liberté pour les deux états de l'Eglise. Saint Cyprien défend cette liberté contre la violence des persécuteurs, et saint Augustin la veut conserver avec précaution, même à l'égard des princes protecteurs, au milieu de la paix. Quelle force, quelle noblesse évangélique, quelle foi aux promesses de Jésus-Christ ! O Dieu, donnez à votre Eglise des Cypriens, des Augustins, des pasteurs qui honorent le ministère et qui fassent sentir à l'homme qu'ils sont les dispensateurs de vos mystères!
Au reste, quoique l'Eglise soit, par les promesses, au dessus de tous les besoins et de tous les secours, Dieu ne dédaigne pourtant pas de la faire secourir par les princes . Il les prépare de loin, il les forme , il les instruit, il les exerce, il les purifie, il les rend dignes d'être les instruments sa providence; en un mot, il ne fait rien par eux qu'après avoir fait en eux tout ce qu'il lui plaît.
Alors l'Eglise accepte cette protection, comme les offrandes des fidèles sans l’exiger ;elle ne voit que la main de son seul époux dans les bienfaits des princes. Et en effet c'est lui qui leur donne et la force au dehors, et la bonne volonté au dedans , pour exercer cette pieuse protection.
L'Fglise remonte sans cesse à la source; loin d'écouter la politique mondaine, elle si agit qu'en pure foi, et elle n'a garde de croire que le Fils de Dieu son époux ne lui suffit pas,.
Ici représentons-nous le sage Maximilien électeur de Bavière. Prince, c'est avec joie que je rappelle le souvenir de votre aïeul, Il est, vrai qu'il fit de grandes choses pour la religion: animé d'un saint zèle, il s'arma contre un prince de sa maison pour sauver la religion catholique dans l'Allemagne; supérieur à toute la politique mondaine; il méprisa les plus hautes et les plus flatteuses espérances pour conserver la foi de ses pères. Mais Dieu se suffit à lui-même, et le libérateur de l'épouse de Jésus Christ devait à l'époux tout ce qu'il fit de grand pour l'épouse. Non, non, il ne faut voir que Dieu dans cet ouvrage : que l'homme disparaisse ; que tout don remonte à sa source; que l'Eglise ne doive rien qu'à Jésus-Christ.
Venez donc, ô Clément, petit-fils de Maximilien; venez secourir l'Eglise par vos vertus, comme votre aïeul la secourut par ses armes. Venez, non pour soutenir d'une main téméraire l'arche chancelante, mais au contraire pour trouver en elle votre soutien. Venez, non pour dominer, mais pour servir. Si vous croyez que l'Eglise n'a. aucun besoin de votre appui, et si vous vous donnez humblement à elle, vous serez son ornement et sa consolation. C'est la seconde vérité dont je dois parler.
SECOND POINT.
Les princes qui deviennent pasteurs peuvent être très utiles à l'Eglise, pourvu qu'ils se dévouent au ministère en esprit d'humilité, de patience- et de prière.
I. L'humilité, qui est si nécessaire à tout ministre des autels, est encore plus nécessaire à ceux que leur haute naissance tente de s'élever au-dessus du reste des hommes. Ecoutez Jésus-Christ : Je suis venu, dit-il,, non pour être servi, mais pour servir les autres. Vous le voyez; le Fils de Dieu, que vous allez représenter au milieu de son peuple, n'est point venu jouir des richesses, recevoir des honneurs, goûter des plaisirs, exercer un empire mondain; au contraire, il est venu s'abaisser, souffrir, supporter les faibles, guérir les malades, attendre les hommes rebelles et indociles, répandre ses biens sur ceux qui lui feraient les plus grands maux, étendre tout le jour ses bras vers un peuple qui le contredirait. Croyez-vous que le disciple soit au-dessus du maître? Voudriez-vous que ce qui n'a été en Jésus-Christ qu'un simple ministère fût en vous une domination ambitieuse? Comme fils de Dieu, il était la splendeur de la gloire du Père, et le caractère de sa substance : comme homme, il comptait parmi ses ancêtres tous les rois de Juda qui avaient régné depuis mille ans, tous les grands sacrificateurs, tous les patriarches. Au lieu que les plus augustes maisons se vantent de ne pouvoir découvrir leur origine dans l'obscurité des anciens temps, celle de Jésus-Christ montrait clairement, par les livres sacrés, que son origine remonte jusqu'à la source du genre humain. Voilà une naissance à laquelle nulle autre, sous le ciel, ne saurait être comparée. Jésus-Christ néanmoins est venu servir jusqu'aux derniers des hommes : il s'est fait l'esclave de tous.
Il est donné aux apôtres de faire des miracles encore plus grands que ceux du Sauveur : l'ombre de saint. Pierre suffit pour guérir les malades; les vêtements le saint Paul ont la même vertu. Mais les apôtres ne sont que les envoyés du Sauveur pour servir les hommes; ils ne sont que les esclaves des peuples en Jésus-Christ
« Nos autem. servos vestros per Jesum ». Fussiez-vous Pierre, fondement éternel de l'Eglise, vous ne seriez que le serviteur de ceux qui servent Dieu. Fussiez-vous Paul, apôtre des nations, ravi au troisième ciel, vous ne seriez qu'un esclave destiné à servir les peuples pour les sanctifier.
Et pourquoi est-ce que Jésus-Christ nous confie son autorité? Est-ce pour nous, ou pour les peuples sur qui nous l'exerçons ? Est-ce afin que nous contentions notre orgueil en flattant celui des autres hommes? C'est, au contraire, afin que nous réprimions l'orgueil et les passions des hommes, en nous humiliant, et en mourant sans cesse à nous-mêmes. Comment pourrons-nous faire aimer la croix, si nous la rejetons pour embrasser le faste et la volupté . Qui est-ce qui croira les promesses, si nous ne paraissons pas les croire en les annonçant ? Qui est-ce qui se renoncera pour aimer Dieu, si nous paraissons vides de Dieu et idolâtres de nous-mêmes? Qu'est-ce que pourront nos paroles, si toutes nos actions les démentent? La parole de vie éternelle ne sera dans notre bouche qu'une vaine déclamation, et les plus saintes cérémonies ne seront qu'un spectacle trompeur. Quoi, ces hommes si appesantis vers la terre, si insensibles aux dons célestes, si aveuglés, si endurcis, nous croiront-ils,nous écouteront-ils, quand nous ne parlerons que de croix et de mort, s'ils ne découvrent en nous aucune trace de Jésus crucifié?
Je consens que le pasteur ne dégrade point le prince; mais je demande aussi que le prince ne fasse point oublier l'humilité du pasteur. Lors même que vous conserverez un certain éclat qui est inséparable de votre dignité temporelle , il faut que vous puissiez dire avec Esther : Seigneur, vous connaissez la nécessité où je suis; vous savez que je hais ce sine d'orgueil et de gloire gui est sur ma tête aux Jours de pompe; vous savez que c'est avec regret que je me vois environné de cette grandeur, et que je m'étudie à en retrancher tout le superflu, pour soulager les peuples et pour Secourir les pauvres.
Souvenez-vous, de plus, que la dignité temporelle ne vous est donnée que pour la spirituelle. C'est pour autoriser le pasteur des âmes que la dignité, électorale a été jointe dans l'empire à celle de l'archevêque de Cologne. C'est pour lui faciliter les fonctions pastorales, et pour affermir l'Eglise catholique, qu'on a attaché à son ministère d'humilité cette puissance si éclatante. D'ailleurs, ces deux fonctions se réunissent dans un certain point. Les païens mêmes n'ont point de plus noble idée d'un véritable prince, que celle de pasteur des peuples. Vous voilà donc pasteur à double titre. Si vous l'êtes comme prince souverain, à plus forte raison l'êtes-vous comme ministre ode Jésus-Christ:
Mais comment pourriez-vous être le pasteur des peuples, si votre grandeur vous séparait d'eux, et vous rendait inaccessible à leur égard? Comment conduiriez-vous le troupeau.; si vous n'étiez pas appliqué à ses besoins? Si les peuples ne vous voient jamais que de loin, jamais que grand, jamais qu'environné de tout ce qui étouffe la confiance, comment oseront-ils percer la foule, se jeter entre vos bras, vous dire leurs peines, et trouver en vous leur consolation? Comment leur ferez-vous sentir un cœur de père, si vous ne leur montrez qu'une hauteur de maître? Voilà ce que le prince même ne doit point oublier. Ajoutons-y ce que doit sentir l'homme apostolique.
Si vous ne descendiez jamais de votre grandeur, comment pourriez-vous dire avec Jésus-Christ : Venez à moi, vous tous qui souffrez le travail, et qui êtes accablés, je vous soulagerai ? Comment pourriez-vous ajouter: Voulez-vous être .le père des petits? soyez petit vous-même ; rapetissez-vous pour vous proportionner, à eux ».
Si je vous connais bien, disait saint Bernard au pape Eugène, vous n'en serez pas moins pauvre d'esprit en » devenant le père des pauvres. » En effet, vos richesses ne sont pas à vous ; les fondateurs n'en ont dépouillé leurs familles qu'afin qu'elles fussent le patrimoine, des pauvres : elles ne vous sont confiées qu'afin que vous soulagiez la pauvreté de vos enfants.
Mais continuons d'écouter saint Bernard , qui parla au vicaire de Jésus-Christ : Qu'est-ce que saint Pierre vous a laissé par succession?
« Il n’a pu vous donner ce qu'il n'avait pas; il vous a donné ce qu'il avait, savoir la sollicitude sur toutes les églises .... Telle est la forme apostolique : la domination est défendue; la servitude est recommandé. »
Venez donc, O prince, accomplir les prophéties en faveur de l'Eglise ; venez baiser là poussière de ses pieds. Ne dédaignez jamais de regarder aucun évêque comme votre confrère, avec qui vous posséderez solidairement l'épiscopat. Mettez votre honneur à soutenir celui du caractère commun. Reconnaissez les saints prêtres poux vos coadjuteurs en Jésus-Christ; recevez leurs conseils; profitez de leur expérience; cultivez, chérissez jusqu' aux pauvres clercs, qui sont, l’espérance de la maison de Dieu; soulagez tous les ouvriers qui portent le poids et la chaleur du jour; consolez tous ceux en qui vous trouverez quelque étincelle de l'esprit de grâce. O vous qui descendez de tant de princes, de rois et d'empereurs, oubliez la maison de votre père; dites à tous ces aïeux : Je vous ignore. Si quelqu'un trouve que la tendresse et l'humilité pastorale avilissent votre naissance et votre dignité, répondez-lui ce que David disait quand on trouvait indécent qu'il dansât devant l'arche : Je m'avilirai encore plus que je ne l'ai fait, et je serai bas à mes propres yeux,. Descendez jusqu'à la dernière brebis de votre troupeau; rien ne peut être bas dans un ministère qui est au-dessus de l'homme. Descendez donc, descendez; ne craignez rien, vous ne sauriez jamais trop descendre pour imiter le Prince des pasteurs qui, étant sans usurpation, égal a son Père; s'est anéanti en prenant la nature d'esclave. Si l'esprit de foi vous fait ainsi descendre, votre humilité fera la joie du ciel et de la terre.
II. Quelle Patience ne faut-il pas dans ce ministère ?
Le ministre de Jésus-Christ est débiteur à tous, aux sages et aux insensés. C'est une dette immense, qui se renouvelle chaque jour, et qui ne s'éteint jamais. Plus on. fait, plus on trouve à faire ; et il n'y a, dit saint Chrysostôme, que celui qui ne fait rien, qui se flatte d'avoir fait tout.
Salomon criait à Dieu à la vue du peuple dont il. était chargé : Votre serviteur est au milieu du peuple que mous avez élu, de ce peuple infini dont on ne peut compter ni concevoir la multitude. Vous donnerez donc d votre serviteur un cœur docile,; afin qu'il puisse juger votre peuple. III Rois 3,8
L'Ecriture ajoute que ce discours plut â Dieu dans la bouche de Salomon : il lui plaira aussi dans la vôtre. Fussiez-vous Salomon, le plus sage de tous les hommes, vous auriez besoin de demander à Dieu un cœur docile. Mais quoi, la docilité n'est-elle pas le partage des inférieurs ? ne semble-t-il pas qu'on doit demander que les pasteurs aient la sagesse, et que les peuplés aient la docilité? Non, c'est le pasteur qui a besoin d'être encore plus docile que le troupeau. Il faut sans doute être docile pour bien obéir .; mais il faut être encore plus docile pour bien commander. La sagesse de l'homme ne se trouve que dans la docilité. Il faut qu'il apprenne sans cesse pour enseigner. Non-seulement il doit apprendre de Dieu, et l'écouter dans le silence intérieur, selon ces paroles : « J'écouterai ce que le Seigneur dira au-dedans de moi »Psaume 84 9; mais encore il doit s'instruire en écoutant les hommes. « Il faut, dit saint. Cyprien-, non-seulement que l'évêque enseigne , mais encore » qu'il apprenne; car celui qui croît tous les jours, et qui fait du progrès en apprenant les choses les plus parfaites, enseigne beaucoup mieux. » Epis LXXIV
Non-seulement l'évêque doit sans cesse étudier les saintes lettres, la tradition, et la discipline des canons; mais encore il doit écouter. tous ceux qui veulent lui parler. On ne trouve la vérité qu'en approfondissant avec patience. Malheur au présomptueux qui se flatte jusqu'à croire qu'il la pénètre d'abord. Il ne faut pas moins se défier de ses propres préjugés que des déguisements des parties. Il faut craindre de se tromper, croire facilement qu'on se trompe, et n'avoir jamais de honte d'avouer qu'on a été trompé. L'élévation, loin de garantir de la tromperie, est précisément ce qui y expose le plus; car plus on est élevé, plus on attire les trompeurs en excitant leur avidité, leur ambition et leur flatterie. Mépriser le conseil d'autrui, c'est porter au-dedans de soi le plus téméraire de tous les conseils. Ne sentir pas son besoin, c'est être sans ressource. Le sage, au contraire, agrandit sa sagesse de toute celle qu'il recueille en autrui. Il apprend de tous, pour les instruire tous; il se montre supérieur à tous et à lui-même par cette simplicité. Il irait jusqu'aux extrémités de la terre chercher un ami fidèle et désintéressé qui aurait le courage de lui montrer ses fautes. Il n'ignore pas que les inférieurs connaissent mieux le détail que lui, parce qu'ils le voient de plus près, et qu'on le leur déguise moins.
« Je ne puis, disait saint Cyprien aux prêtres et aux diacres de son église , répondre seul à ce que nos « compresses » ....m'ont écrit, parce que j'ai résolu, dès le commencement de mon épiscopat, de ne rien faire par mon sentiment particulier, sans votre conseil et sans le consentement du peuple : mais quand j'arriverai, par la grâce de Dieu, parmi vous , alors nous traiterons en commun, comme l'honneur que nous nous devons mutuellement le demande, les choses qui sont faites ou qui sont à faire »
Ne décidez donc jamais d'aucun point important de la discipline sans une délibération ecclésiastique Plus les affaires sont importantes, plus il faut les peser en se confiant à un conseil bien choisi, et en se défiant sincèrement de ses propres lumières: Voilà, ô prince, un peuple innombrable que vous allez conduire. Vous devez être au milieu d'eux comme saint Augustin nous dépeint saint Ambroise : il passait toute la journée avec les livres sacrés dans ses mains, se livrant a la foule des hommes qui venaient à lui comme au médecin, pour se guérir de leurs maladies spirituelles : quorum infirmitatibus serviebat.
Mais ce médecin ne doit-i! pas diversifier les remèdes selon les maladies? Oui, sans doute : de là vient qu'il est dit que nous sommes les dispensateurs de la grâce de Dieu qui prend diverses formes. Le vrai pasteur ne se borne à aucune conduite particulière : il est doux, il est rigoureux; il menace, il encourage, il espère, il craint, il corrige, il console; il devient juif avec les juifs pour les observations légales; il est avec ceux gui sont sous la loi comme s'il y. était lui-même ; il devient faible avec lés faibles, il se fait tout à tous pour les gagner tous .
O heureuse faiblesse du pasteur, qui s'affaiblit tout exprès par pure condescendance, pour se proportionner aux âmes qui manquent de force! Qui est-ce, dit l'Apôtre, qui s'affaiblit, sans que je m'affaiblisse avec. lui? 2 Cor 11,29
Qui est-ce qui tombe; sans que mon cœur brûle pour le relever ? O pasteurs, loin de vous tout cœur rétréci! Elargissez, élargissez vos entrailles. Vous ne savez rien, si vous ne savez que commander, que reprendre, que corriger, que montrer la lettre de la loi. Soyez pères : ce n'est pas assez; soyez mères; enfantez dans là douleur; souffrez de nouveau les douleurs de l'enfantement .à chaque effort qu'il faudra faire pour achever de former Jésus-Christ dans un cœur. Nous avons été au milieu de vous, disait saint Paul aux fidèles de Thessalonique, comme. des enfants, ou comme une mère qui caresse ses enfants quand elle est nourrice, Attendez sans fin, ô pasteur d'Israël; espérez contre l'espérance ; imitez la longanimité de Dieu pour les pécheurs; supportez ce que Dieu supporte; conjurez, reprenez en toute patience, : il vous sera donné selon la mesure de votre foi. Ne doutez pas que les pierres mêmes ne deviennent enfin des enfants d'Abraham. Vous devez faire comme Dieu, à qui saint Augustin disait :«Vous avez manié mon cœur pour le refaire peu à peu par une main si douce et si miséricordieuse : Paulatim tu, Domine, manu mitissima et misericordissima pertractans et componens cor meum. »
Mais de quoi s'agit-il dans le ministère apostolique? Si vous ne voulez qu'intimider .les hommes, et les réduire à faire certaines actions extérieures, levez le glaive; chacun tremble, vous êtes obéi. Voilà une exacte police, mais non pas une sincère religion. Si les hommes ne font que trembler, les démons, tremblent autant qu'eux, et haïssent Dieu. Plus vous userez de rigueur et de contrainte, plus vous courrez risque de n'établir qu'un amour propre masqué et trompeur. Où seront donc ceux que le Père cherche, et qui l'adorent en esprit et en vérité? Souvenons-nous que le culte de Dieu consiste dans l'amour:
Nec colitur ille nisi amando . Pour faire aimer, il faut entrer au fond des cœurs; il faut en' avoir la clef; il faut en remuer tous les ressorts ; il faut persuader, et faire vouloir le bien , de manière qu'on le veuille librement et indépendamment de la crainte servile. La force peut-elle persuader les hommes? peut-elle leur faire vouloir ce qu'ils ne veulent pas ? Ne voit-on pas que les derniers hommes du peuple ne croient ni ne veulent point toujours au gré des plus puissants princes.? Chacun se tait, chacun souffre, chacun se déguise, chacun agit .et parait vouloir, chacun flatte, chacun applaudit : mais on ne croit et on n'aime point; au contraire, on hait d'autant plus qu'on supporte plus impatiemment la contrainte qui réduit à faire semblant d'aimer. Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable- de la liberté d'un cœur.
Pour Jésus-Christ, son règne est au- dedans de l'homme, parce qu'il veut l'amour. Aussi n'a-t-il rien fait par violence, mais tout, par persuasion, comme dit saint Augustin : Nihil egit vi, sed omnia, suadendo: L'amour n'entre point. dans le cœur par contrainte: chacun n'aime qu'autant qu'il lui plait d'aimer. Il est plus facile de reprendre que de persuader; il est plus court de menacer que d'instruire ; il est plus commode à. la hauteur et à l'impatience humaine de frapper sur ceux qui résistent, que de les édifier, que de s'humilier, que de prier, que de mourir à soi, pour leur apprendre à mourir à eux-mêmes. Dès qu'on trouve quelque mécompte dans les cœurs ; chacun est tenté de dire à Jésus-Christ: « Voulez-vous que nous disions au feu de descendre du ciel pour consumer ces pécheurs indociles? » Mais Jésus-Christ répond: ,Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes Luc 9,54 ; il réprime ce zèle indiscret.
Le pasteur expérimenté dans les voies de la grâce n'entreprend que les biens pour lesquels il voit que les volontés sont déjà préparées par le Seigneur. Il sonde les cœurs : il n'oserait faire deux pas à la fois; et s'il le faut, il n'a point de honte de reculer. Il dit, comme Jésus-Christ : « J'aurais beaucoup de choses à vous proposer; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant »Jean 16,12. Pour le mal, il se ressouvient de ces belles paroles de saint Augustin :
« Les pasteurs conduisent, non des hommes guéris, mais des hommes qui ont besoin de guérison. Il faut souffrir les défauts de la multitude pour les guérir, et il faut tolérer la contagion avant que de la faire cesser. Il est très-difficile de trouver le juste milieu dans ce travail, pour y conserver un esprit paisible et tranquille. » Gardez-vous donc bien d'entreprendre d'arracher d'abord tout le mauvais grain. Laissez-le croître jusqu'à la moisson , de peur que vous n'arrachiez le bon avec le mauvais.
Toutes les fois que vous sentirez votre cœur ému contre quelque pécheur indocile, rappelez ces aimables paroles de Jésus-Christ :
Ce sont les malades, et non pas les hommes en santé, gui ont besoin de médecin. Allez, et apprenez ce que signifient ces paroles : Je veux la miséricorde, et non le sacrifice, car je suis vertu appeler, non des justes, mais des pécheurs .Math 9,12
Toute indignation, toute impatience, toute hauteur contraire à cette douceur du Dieu de patience et de consolation, est une rigueur de pharisien. Ne craignez point de tomber dans le relâchement en imitant Dieu même, en qui la miséricorde s'élève au-dessus du jugement . Parlez comme saint Cyprien, cet intrépide défenseur de la plus pure discipline : « Qu'ils, viennent, disait-il de ceux qui avaient péché, s'ils veulent faire une expérience de notre jugement... Ici l'Eglise n'est fermée à personne, et il n'y a aucun homme à qui l'évêque se re fuse. Nous sommes sans cesse tout prêts à faire sentir tous ceux qui viennent, notre patience, notre facilité, notre humanité. Je souhaite que tous rentrent dans l'Eglise... Je pardonne toutes choses ; j'en dissimule beaucoup, par le désir et par le zèle de rassembler nos frères. Je n'examine pas même par le plein jugement de la religion les fautes commises contre Dieu. Je pèche presque en remettant plus qu'il ne faut » les péchés .d'autrui ;
.j'embrasse avec promptitude et » tendresse ceux qui reviennent en se repentant; et en confessant leur péché avec une satisfaction humble et » simple.»
Hélas! quelque soin que vous preniez de vous faire aimer, et d'adoucir le joug, quelles contradictions ne trouverez-vous pas dans votre travail! Veut-on faire le mal, ou du moins laisser tomber le bien par mollesse, on flatte les passions de la multitude et on est applaudi ; on se fait des amis aux dépens des règles. Mais veut-on faire le bien, et réprimer le mal, il faut refuser, contredire; attaquer les passions des hommes, se roidir contre le torrent : tout se réunit contre vous. « Quiconque; . dit saint Cyprien n'imite pas les méchants, les offense. Les lois mêmes cèdent pour flatter, le péché, et le désordre, à force d'être public, commence à paraître permis.» Les abus sont nommés des coutumes ; les peuples en sont jaloux comme d'un droit acquis par la possession : on se récrie contré la réforme, comme contré un changement indiscret. Lors même que le pasteur use des plus sages adoucissements , la réforme, qui édifie par une utilité réelle, trouble les esprits par une nouveauté apparente; l'Eglise gémit, sentant ses mains liées, et voyant le malade repousser le remède préparé pour sa guérison.
Plus vous êtes élevé ; plus vous serez exposé à cette contradiction ; plus votre troupeau sera grand, plus le pasteur aura à souffrir. Il vous est dit, comme à saint Paul : » Je vous montrerai combien il faudra que vous souffriez pour mon nom »Actes 9,16.
Travailler, et ne voir jamais son ouvrage ; travailler à persuader les hommes, et sentir leur contradiction ; travailler, et voir renaître sans cesse les difficultés ; combats au dehors, craintes au-dedans; ne voir que, trop où sont les pécheurs, et ne savoir jamais avec certitude où sont les vrais justes, comme saint Augustin le remarque : voilà le partage des ministres de Jésus-Christ.
L'Allemagne, cette terre bénite qui a donné à l'Église tant de saints pasteurs, tant de pieux princes , tant d'admirables solitaires, a été ravagée par l'hérésie. Les endroits les plus heureusement préservés en ont ressenti quelque ébranlement; la discipline en a souffert. Combien de fois, en considérant ce triste spectacle, serez-vous réduit à dire avec les apôtres : « Nous sommes des serviteurs inutiles » Luc 18,10 ! Vos pieds seront presque chancelants, et votre cœur séchera quand vous verrez la fausse paix des pécheurs aveuglés et incorrigibles. O pasteur d'Israël, travaillez dans la pure foi, sans consolation, s'il le faut, possédez votre âme en patience., Plantez, arrosez, attendez que Dieu donne l'accroissement; ne dussiez-vous jamais, procurer que le salut d'une seule âme, les travaux de votre vie entière seraient bien employés.
Mais voulez-vous, ô prince cher à Dieu, que je vous laisse un abrégé de tous vos devoirs ? gravez, non sur des tables de pierre, mais sur les tables vivantes de votre cœur, ces grandes paroles de saint .Augustin
« Que celui qui vous conduit se croie heureux, non par une puissance impérieuse , mais par une charité dévouée à la servitude. Pour l'honneur, il doit être en public au-dessus de vous; mais il doit être, par la crainte de Dieu, prosterné sous vos pieds. Il faut qu'il soit le modèle de tous pour les bonnes oeuvres, qu'il corrige les hommes inquiets, qu'il supporte les faibles, » qu'il soit patient à l'égard de tous, qu'il soit prompt à observer la discipline, et timide pour l'imposer à autrui ; et quoique l'un et l'autre de ces deux points soit nécessaire, qu'il cherche néanmoins plutôt à être aimé » qu'à être craint. »Régula ad servos Dei II
Ill. Mais où est-ce qu'un homme revêtu d'une chair mortelle, et environné d'infirmité, peut prendre tant de vertus célestes pour être l'ange de Dieu sur la terre? Sachez que Dieu est riche pour tous ceux qui l'invoquent Rom 10,12.Il nous commande de prier, de peur que nous ne perdions, faute de prière, les biens qu'il nous prépare. Il promet, il invite, si nous prie, pour ainsi dire, de le prier. Il est vrai qu'il faut un grand amour pour paître un grand troupeau; il faut n'être presque plus homme pour mériter de conduire les hommes ; il faut ne plus laisser voir en soi les faiblesses de l'humanité. Ce n'est qu'après avoir dit trois fois, comme à Pierre : M'aimez-vous qu'après avoir tiré trois fois de votre cœur cette réponse : Seigneur, vous le savez que je vous aime, que le grand pasteur vous dit : Paissez mes brebis. Mais enfin celui qui demande un amour si courageux et si patient, est celui lui-là même qui nous le donne. Venez, hâtez-vous, achetez-le sans argent. Il s'achète par le simple désir; n'en est privé , que celui qui ne le veut pas. O bien infini, il ne faut que vous vouloir pour vous posséder C'est cet or pur et enflammé, c'est ce trésor du cœur pauvre, qui apaise tout désir, et qui remplit tout vide. L'amour donne tout, et l'amour lui-même est donné a quiconque lui ouvre son cœur. Mais voyez cet ordre des dons de Dieu, et gardez-vous bien de le renverser. La grâce seule peut donner l'amour, et la grâce ne se donne qu'à la prière. Priez donc sans intermission : priez et ne défaillez jamais. Si tout fidèle doit prier ainsi, que sera-ce du pasteur ? Vous êtes le médiateur entre le ciel et la terre : priez, pour aider ceux qui prient; en joignant vos prières aux leurs. De plus, priez pour tous ceux ne prient pas; parlez à Dieu en faveur de ceux à qui vous n'oseriez parler de Dieu, quand vous les voyez en durcis, et irrités contre la vertu. Soyez, comme Moïse l'ami de Dieu; allez loin du peuple sur la montagne converser familièrement avec lui, face à, face; revenez vers le peuple, couronné de rayons de gloire, que cet entretien ineffable aura mis autour de votre tête. Que l’oraison soit la source de vos lumières dans le travail.
Non-seulement vous devez convertir les pécheurs, mais encore vous devez diriger les âmes les plus parfaites dans les voies de Dieu ; vous devez annoncer la sagesse entre, les parfaits; vous devez être leur guide dans l'oraison-, pour les garantir des illusions de l'amour-propre.
Soyez donc le sel de la terre, la lumière du monde, l’œil qui éclaire le corps de votre Eglise, et la bouche qui prononce les oracles de la tradition.
Oh ! qui me donnera cet esprit de prière, qui peut tout sur Dieu même, et qui met dans le pasteur tout ce qui lui manque pour le troupeau! O esprit de prière, c'est vous qui formerez de nouveaux apôtres , pour changer la face dé la terre. O. Esprit, ô amour, venez aimer, venez nous apprendre à prier, et priez en nous : venez vous y aimer vous-même. Prier sans, cesse pour aimer et pour aire aimer Dieu, c'est la vie de l'apostolat. Vivez de cette vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu, prince devenu le pasteur des âmes, et vous goûterez combien le Seigneur est doux-. Alors vous - serez une colonne de la maison de Dieu; alors vous serez l'amour et les délices .de l'Eglise.
Les grands princes, qui prennent, pour ainsi dire, l'Eglise sans se donner à elle, sont pour elle de grands fardeaux, et non des appuis. Hélas! que ne coûtent-ils point à l'Eglise ! ils ne paissent point le troupeau, c'est du troupeau 'qu'ils se paissent eux-mêmes. Le prix des péchés du peuple, les dons consacrés ne peuvent suffire à leur faste et à leur, ambition. Qu'est-ce que l'Eglise ne souffre pas d'eux! quelles plaies ne font-ils pas à sa discipline! Il faut que tous les canons tombent devant eux; tout ploie sous leur grandeur. Les dispenses, dont ils abusent, apprennent à d'autres à énerver les saintes lois ils rougissent d'être pasteurs et pères; ils ne veulent être que princes et maîtres.
ll n'en sera pas de même de vous, puisque vous mettez votre gloire dans vos fonctions pastorales. Combien les exemples donnés par un évêque qui est un grand prince ont-ils plus d'autorité sur les hommes, que les exemples donnés par un évêque d'une naissance médiocre ! Combien son humilité est-elle plus propre à rabaisser les orgueilleux! Combien sa modestie est-elle plus touchante pour réprimer le luxe et le faste ! Combien sa douceur est-elle plus aimable ! Combien sa patience est-elle plus forte pour ramener les hommes indociles et égarés!
Qui est-ce qui n'aura point de honte d’être hautain et emporté,
quand on verra le prince, au milieu de cette puissance, doux et humble de cœur ? Quelle sera la force de sa parole, quand elle sera soutenue par ses vertus! Par exemple, quelle fut la gloire de l'église de Cologne quand elle eut pour pasteur le fameux Brunon frère de l'empereur Othon premier! Mais pourquoi n'espérerons-nous pas de trouver dans Clément un nouveau Brunon ? II ne tient u'à vous, ô Prince, d'essuyer les larmes de l'Église, et de la consoler de tous les maux qu'elle souffre dans ces jours de péché. Vous ferez refleurir les terres désertes;vous ramènerez la beauté des anciens jours. Que dis-je? levez les yeux et voyez les campagnes déjà blanches pour la moisson. Consolez-vous, consolez-vous, mon peuple, dit votre Dieu... Toute vallée se comblera, toute montagne sera aplanie... Et vous gui évangélisez Sion, montez sur la rnontagne, élevez avec ,force votre voix. ~ O vous qui évangélisez Jérusalem, élevez-la, ne craignez rien ; dites aux villes de Juda, voici votre Dieu Isaïe 11,1.
O Église qui recevez de la main du Seigneur un tel époux, voilà des enfants gui vous viennent de loin. Vous serez plus féconde que jamais dans votre vieillesse. Les voilà venus de l'aquilon, de la mer, et de la terre, du midi... Levez lès yeux autour de vous, et voyez; tous ceux-ci s'assemblent, et viennent à vous.
Peuples, pour le bonheur desquels se fait cette consécration, que ne puis-je vous faire entendre de loin ma faible voix! Priez, peuples, priez; toutes les bénédictions que vous attirerez sur la tête de Clément reviendront sur la vôtre; plus il recevra de grâce, plus il en répandra sur tout le troupeau.
Et vous, ô assemblée qui m'écoutez, n'oubliez lamais ce que vous voyez aujourd'hui; souvenez-vous de cette modestie, de cette ferveur pour le culte divin, de ce zèle infatigable pour la maison de Dieu. N'en soyez pas surpris: dès son enfance, ce prince a été nourri des paroles de la foi; le palais où il est né avait, nonobstant sa magnificence, la régularité d'une communauté de solitaires; on chantait dans cette cour, comme au désert, les louanges de Dieu. Le Seigneur n'oubliera point tant de marques de piété devenues comme héréditaires dans cette maison : après les jours de tempête, il fera enfin luire sur elle des jours sereins, et lui rendra son ancien éclat. '
Vous voyez, mes frères, ce prince prosterné au pied des autels; vous venez d'entendre tout ce, que je lui ai dit. Eh! qu'est-ce que je n'ai pas osé lui dire! eh! qu’ est ce que je ne devais pas lui dire, puisqu'il n'a, craint que d'ignorer la vérité! La plus forte louange le louerait infiniment moins que la liberté épiscopale avec laquelle il veut que je lui parle. Oh! qu'un prince se montre grand quand il donne cette liberté! Oh ! que celui qui paraîtra au-dessus des vaines louanges, quand on saura tout ce qu'il a voulu que je lui disse!
Et vous, Prince sur qui coule l'onction du Saint-Esprit, ressuscitez sans cesse la grâce que vous recevez par l'imposition de mes mains. Que ce grand jour règle tous les autres jours de votre vie jusqu'à celui de votre mort. Soyez toujours le bon pasteur prêt à donner votre vie pour vos chères brebis, comme vous voulez l’être aujourd'hui, et comme -vous voudrez l'avoir été au moment où, dépouillé de toute grandeur terrestre, vous irez rendre compte à Dieu de votre ministère. Priez, faites aimer Dieu; rendez-le aimable en vous; qu'on le sente en votre personne; répandez au loin la bonne odeur de Jésus-Christ; soyez la force, la lumière, la consolation de votre troupeau, que votre troupe soit votre joie et votre couronne au jour de Jésus-Christ
O Dieu, vous l'avez aimé dès l'éternité; vous voulez qu'il vous aime et qu'il vous fasse aimer ici-bas. Portez le dans votre sein au travers des périls et des tentations: ne permettez pas que la fascination des amusements du siècle obscurcisse jamais les biens que vous avez mis dans son coeur; ne souffrez pas qu'il se confie ni à sa haute naissance ni à son courage naturel, ni à .aucune prudence mondaine.
Que la foi fasse seule en lui l' œuvre de la foi ! Qu'au moment où il ira paraître devant vous, les pauvres nourris, les riches humiliés, les ignorants instruits, les abus réformés, la discipline rétablie; l' Eglise soute nue et consolée par ses vertus, le présentent devant le trône de la grâce, peur recevoir de vos mains la couronne qui ne flétrira jamais.