Sermon sur Saint Bernard
Dans ce sermon prononcé devant des religieuses cisterciennes pour la fête de saint Bernard, un 20 août, Fénelon rappelle à grands traits le rôle que joua l’abbé de Clairvaux dans la résolution du schisme de l’antipape Anaclet, à commencer par son intervention décisive lors du concile d’Étampes de 1130.
Il ne se montroit que pour faire sentir Jésus-Christ par des bienfaits miraculeux; [p.233] encore même craignoit-il ses propres miracles, et il n’osoit les faire à Clairvaux, de peur d’attirer dans sa solitude le concours des peuples. L’amour de son désert lui fit refuser l’évêché de Rheims et celui de Milan. Loin donc, filles de Bernard(1), loin ces songes flatteurs qui pourroient enchanter vos sens! Loin cette figure maudite qui passe(2); ce monde, fantôme de gloire qui va s’évanouir! Enfin si l’on a vu Bernard sortir plusieurs fois de Clairvaux, c’est par les ordres exprès du pape, et pour les plus pressans besoins de l’Église. Alors c’étoit Jean sorti du désert pour rendre témoignage au sauveur et pour instruire sans crainte les rois(3). Il est temps, mes frères, de vous le faire voir dans ce travail apostolique. Second point. Dans le douzième siècle de l’Église, Dieu irrité contre les hommes avoit frappé de sa verge de fer les pasteurs de son peuple(4); le troupeau languissoit loin des pâturages, à la merci des loups dévorans. L’antipape Anaclet allume un feu qui court de royaume en royaume, et rien ne peut l’éteindre. Innocent II, choisi pour ses vertus, succombe, et se sauve à Pise. Les nations flottantes ne savent où est le vrai pasteur. L’Église de France assemblée à Étampes(5), ne voit que Bernard qui en puisse décider, et elle attend que Dieu parlera par sa bouche. En effet, éclairée par lui, elle tend les bras et ouvre son sein au vrai pontife fugitif. Aussitôt je vois Bernard ranimer par la vigueur de ses conseils le pape et les cardinaux; ramener à l’unité, par ses douces insinuations, le roi [p.234] d’Angleterre; arrêter par l’autorité de sa vertu l’empereur Clotaire qui veut profiter du trouble pour renouveler sa prétention des investitures; engager même ce prince à amener Innocent à Rome, pour détrôner le superbe Anaclet; faire tenir un concile à Pise, où tout l’Occident, d’une seule voix, excommunia l’antipape; enfin vaincre la ville de Milan obstinée dans le schisme, en déployant sur elle par ses miracles toute la vertu du très-haut. Ainsi parle, ainsi agit l’homme de Dieu, quand Dieu l’envoie. Et toi, fier duc d’Aquitaine, qui soutiens encore de tes puissantes mains le schisme penchant à sa ruine, tu seras toi-même, comme un nouveau Saul, abattu et prosterné pour être converti(6). Tu frémis, tu ne respires contre les saints que sang et que carnage(7). En vain tu fuis la conférence de l’homme de Dieu; en vain tu persécutes les pasteurs; tu tomberas. Arrête, voici Bernard qui vient à toi avec l’eucharistie dans ses mains. Je vois son visage enflammé, j’entends sa voix terrible. Écoutons, mes frères, ce qu’il lui dit: «Toute l’Église vous a conjuré, et vous avez rejeté ses larmes... etc.» À ce coup foudroyant, le persécuteur tombe aux pieds de Bernard, et on ne peut le relever; ce lion rugissant devient un agneau. Hâtons-nous, mes frères, de suivre notre saint. [p.235] Bernard, comme un éclair, perce de l’Orient jusqu’à l’Occident(8). Le voilà déjà jusque aux extrémités de l’Italie. En passant à Rome, il a donné le coup mortel au schisme naissant. Les justes y sont consolés, les égarés reviennent sur leurs pas, l’édifice d’orgueil et de confusion(9) est sapé par les fondemens. Roger, roi de Sicile, par lequel le schisme respire encore, veut faire conférer à Salerne Bernard avec Pierre de Pise, profond jurisconsulte et grand orateur, attaché au parti d’Anaclet. Discours insinuans et persuasifs de la sagesse humaine, vous ne pouvez rien contre la vérité de Dieu. Le prince, endurci comme Pharaon(10), sera vaincu dans une bataille, selon la prédiction de Bernard; et Pierre de Pise, frappé par la voix de l’homme de Dieu, viendra humble et tremblant aux pieds du vrai pasteur qu’il a méconnu. C’en est fait, mes frères, c’en est fait; les dernières étincelles d’une flamme qui avoit volé dans toute l’Europe, s’éteignent: tout est fait un seul pasteur, un seul troupeau; et Bernard, qui avoit travaillé sept ans à la réunion, partit de Rome cinq jours après qu’elle fut consommée, pour rentrer dans sa solitude. [...] |
NOTES (Bernard Gineste, oct. 2001) |
Source: L’édition Gosselin-Caron de 1823, d’après l’édition numérique de l’INALF de 1961 mise en ligne par la BNF en 2000. Sélection, remaniement typographique, mise en page et notes: Bernard Gineste, octobre 2001. |
Cette image pieuse («French Lace Holy Card») semble avoir été imprimée en Flandre belge, vraisemblablement à la fin du XIXe siècle. Il serait intéressant de savoir s’il existe d’autres représentations de cet épisode important de la vie de saint Bernard, de l’Église de France — et de l’histoire d’Étampes. Voici les représentations qu’on trouve de ce saint plus habituellement (d’après le vendeur): Cistercian having a vision of Mary; Cistercian with a beehive; Cistercian with a chained demon; Cistercian with a mitre on the ground beside him; Cistercian with a swarm of bees nearby; Cistercian with a white dog; Cistercian writing and watching Mary; beehive; bees; book; instruments of the Passion; pen; white dog. Merci de nous communiquer toute information sur cette œuvre en votre possession.
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Bernard GINESTE, «Louis Bail: Concilium Stampense (extrait de la Summa Conciliorum Omnium, 1645)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cls-17-bail-concilia.html, avril 2003. ART RELIGIEUX, «Image pieuse: Saint Bernard au concile d’Étampes de 1130 (fin XIXe s.)», in Corpus Étampois, http://www.corpusetampois.com/cae-19-imagepieuse-stbernardaetampes.html, avril 2003. |