Sermon sur Sainte Therese
SERMON FETE DE SAINTE THERESE
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Sur l' ardeur et les effets de son amour envers Dieu. C' est ainsi, mes frères, que parle Jérémie au nom de Jérusalem, pour exprimer tout ce que cette cité, devenue infidèle, ressent quand Dieu la frappe pour la convertir. Il dépeint un feu dévorant, mais un feu envoyé d' en haut, et que la main de Dieu même allume de veine en veine pour pénétrer jusqu' à la moelle des os ; c' est par ce feu que Jérusalem doit être instruite et purifiée. Le voilà ce feu qui brûle sans consumer, et qui, loin de détruire l' ame, la renouvelle. Le voilà ce feu de douleur et d' amour tout ensemble : c' est lui que Jésus est venu apporter sur la terre ; et que veut-il, sinon embraser tout l' univers ? Thérèse, vous le sentez, il brûle votre coeur, et votre coeur lui-même devient une fournaise ardente. (...). Considérons, mes frères, dans ce discours, ce que le feu de l' amour divin a fait dans le coeur de Thérèse, et ce que le coeur enflammé de Thérèse a
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fait ensuite dans toute l' église. Au dedans, ce feu consume toute affection terrestre ; au dehors, il éclaire, il échauffe, il anime. Venez donc, vous tous, accourez à ce spectacle de la foi ; venez, et voyez d' abord le martyre intérieur de Thérèse ; puis admirez tout ce qu' elle a fait dès qu' elle est morte à elle-même. Ainsi vous apprendrez, par son exemple, et à mourir à vous-mêmes par le recueillement, et à vous sacrifier courageusement à Dieu dans l' action. Voilà tout le sujet de ce discours. ô sauveur qui l' avez instruite en la brûlant de votre amour, brûlez nos coeurs, et nous serons instruits comme elle ! Envoyez le feu de votre esprit, et tout sera créé encore une fois, et vous renouvellerez la face de la terre ! Que, de mes entrailles, la céleste flamme s' épanche sur ma langue, et de ma langue jusqu' au fond des coeurs ! Marie, c' est la gloire de votre fils que nous demandons, intercédez pour nous ! (...). Premier point. Ce que Dieu prend plaisir à faire lui-même dans les ames qu' il a scellées de son sceau éternel, il prend aussi plaisir à le contempler, et il jouit de la beauté de son ouvrage. Il regarde avec complaisance sa grâce, qui, comme dit saint Pierre, prend toutes les formes suivant les coeurs où il la fait couler. Elle n' a pas moins de variété que la nature dans tout ce qu' elle fait. Où trouverez-vous sur la terre deux hommes qui se ressemblent entièrement ? Les justes ne sont pas moins différens entre eux que les visages
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des hommes ; et Dieu tire de ses trésors de miséricorde de quoi former chaque jour l' homme intérieur avec des traits nouveaux. ô si nous pouvions voir cette variété de dons ! Nous les verrons un jour dans le sein du père qui en est la source. Cependant, pour nous cacher nous-mêmes à nous-mêmes, Dieu enveloppe son ouvrage dans la nuit de la foi ; mais cet ouvrage de la grâce ne s' avance pas toujours régulièrement comme celui de la nature. Il s' en faut bien, mes frères ; ce n' est pas moi, c' est Thérèse qui fait cette belle remarque ; il s' en faut bien que les ames ne croissent comme les corps. L' enfant n' est jamais un moment sans croître jusqu' à ce qu' il ait l' âge et la taille de l' homme parfait ; mais l' ame, encore tendre et naissante dans la piété, interrompt souvent son progrès ; c' est non-seulement par la diminution de tous les désirs du vieil homme, mais souvent par l' anéantissement du péché même, que Dieu lui fait trouver dans l' humilité un plus solide accroissement. Celle qui parle ainsi l' avoit senti, mes frères. Vous l' allez voir pendant vingt ans qui tombe et se relève, qui tombe encore, et se relève enfin pour ne plus tomber. Vous allez voir un mélange incompréhensible de foiblesse et de grâce, d' infidélité et d' attrait à la plus haute perfection. Dès sa plus tendre enfance, elle avoit goûté le don céleste, la bonne parole, et la vertu du siècle futur. Il me semble que je l' entends lisant avec son jeune frère l' histoire des martyrs. à la vue de l' éternité où ils sont couronnés, elle s' écrie : quoi ! Toujours, toujours ! L' esprit du martyre souffle sur elle ; elle veut s' échapper pour
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aller chez les Maures répandre son sang. ô Thérèse ! Vous êtes réservée pour d' autres tourmens, et l' amour sera plus fort que la mort même pour vous martyriser. Retenue par ses parens, elle bâtissoit de ses propres mains, avec ce jeune frère, de petits ermitages. Ainsi cette douce image de la vie angélique des anachorètes dans le désert la consoloit d' avoir perdu la gloire du martyre ; et les jeux mêmes de son enfance faisoient déjà sentir en elle les prémices du Saint-Esprit. Qui ne croiroit, mes frères, qu' une ame si prévenue sera préservée de la contagion ? Non, non, elle ne le fut pas ; et c' est ici que commence le secret de Dieu. La mère de Thérèse, quoique modeste, lisoit les aventures fabuleuses, où l' amour profane, revêtu de ce que la générosité et la politesse mondaine ont d' éblouissant, fait oublier qu' il est ce vice détestable qui doit alarmer la pudeur. Le poison que la mère tenoit inconsidérément dans ses mains, entra jusque dans le coeur de la fille ; et les enchantemens du mensonge lui firent perdre le pur goût de la vérité. ô vous, qui voulez vous tromper vous-mêmes par des lectures contagieuses, apprenez, par ce triste exemple, que plus le mal est déguisé sous un voile qui en ôte l' horreur, plus il est à craindre ! Fuyez, fuyez ce serpent qui se glisse sous l' herbe et parmi les fleurs ! à cette mère indiscrète succéda bientôt une parente vaine, qui acheva de gâter son coeur. La vanité, hélas ! Quel ravage ne fit-elle pas sur toutes les vertus que la grâce du baptême venoit de faire naître ! Est-ce donc là cette fille si enflammée de
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l' amour du martyre, et dont tout le sang, jusqu' à la dernière goutte, cherchoit à couler pour la foi ? Maintenant la voilà pleine d' elle-même et des désirs du siècle. ô Dieu patient ! ô Dieu qui nous aimez, quoique nous rejetions votre amour, et lorsque, ennemis de nous-mêmes aussi bien que de notre bien, nous languissons loin de vous dans les liens du péché ! ô Dieu ! Vous l' attendiez cette ame infidèle, et, par une insensible miséricorde, vous l' ameniez, les yeux fermés, comme par la main, chez un oncle plein de votre esprit. D' abord elle ne s' y engagea que par complaisance ; car alors, éblouie par l' espérance d' un époux mortel, elle marchoit, d' un pas présomptueux, sur un sentier bordé de précipices. Là, elle prit, sans savoir ce qu' elle faisoit ; vous seul le saviez, Seigneur, vous qui le lui faisiez faire ; elle prit les épîtres de saint Jérôme ; elle lut, et sentit la vérité ; elle l' aima, elle ne s' aima plus elle-même, et des torrens de larmes amères coulèrent de ses yeux. Qu' est-ce qui vous trouble, Thérèse ? De quoi pleurez-vous ? Hélas ! Je pleure de n' avoir pas pleuré assez tôt ; je m' afflige de ces déplorables plaisirs qui ont enivré mon coeur. Les ris du siècle me semblent une folie, et je dis à la joie : pourquoi m' avez-vous trompée ? Pour se punir d' avoir trop aimé le monde, elle se condamne à ne le voir jamais. En un moment tous ses liens se brisent, et elle se jette dans un cloître. " alors, dit-elle, je sentis tous mes os qui alloient se détacher les uns des autres,... etc. "
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ce sacrifice si douloureux fut béni d' en haut, et la manne céleste coula sur elle dans le désert. à peine lisoit-elle deux lignes pour se nourrir de la parole céleste de la foi, que l' esprit, se saisissant d' elle, livroit ses sens et les puissances de son ame pour l' enlever hors de sa lecture. Elle voyoit d' une vue fixe Jésus seul, et Jésus crucifié. Sa mémoire se perdoit dans ce grand objet, son entendement ne pouvoit agir, et ne faisoit que s' étonner en présence de Dieu, abîme d' amour et de lumière ; elle ne pouvoit ni rappeler ses idées, ni raisonner sur les mystères ; nulle image sensible ne se présentoit ordinairement à elle ; seulement elle aimoit, elle admiroit en silence : elle étoit suspendue, dit-elle, et comme hors d' elle-même. ô hommes dédaigneux et incrédules, qui osez tout mesurer à vos courtes spéculations ; ô vous qui corrompez les vérités mêmes que Dieu nous fait connoître, et qui blasphémez les mystères intérieurs que vous ignorez ; taisez-vous, esprits impies et superbes ; apprenez ici que nul ne peut sonder les profondeurs de l' esprit de Dieu, si ce n' est l' esprit de Dieu même. à cette oraison éminente furent ajoutées les plus rudes croix. Plusieurs maladies mortelles vinrent
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fondre sur ce corps exténué ; elle ressemble à l' homme de douleurs, et elle est écrasée comme lui dans l' infirmité. Pendant une paralysie de trois ans, où l' on croit à toute heure qu' elle va expirer, elle lit le commentaire de saint Grégoire sur le livre de Job, dont elle représente la patience, et dont elle souffre toutes les peines. à ce coup ne croiriez-vous pas que le vieil homme va succomber, et que la grâce s' affermit déjà sur les ruines de la nature ? Tremblez, ames foibles ; tremblez encore une fois, mes frères. Thérèse ne s' élève si haut, que pour faire une plus grande chute ; et cet aigle qui fendoit les airs pour s' élever jusqu' aux nues, et dont le vol étoit si rapide, s' appesantit peu à peu vers la terre. D' abord ce n' est qu' une conversation innocente ; mais la plus innocente conversation cesse de l' être dès qu' elle dissipe et qu' elle amollit ; et une vierge, épouse du sauveur, ne doit penser qu' à ce qui peut plaire à l' époux, pour être sainte de corps et d' esprit. ô insensible engagement dans une vie lâche, qu' on craint toujours trop tard, combien êtes-vous plus à craindre que les vices les plus grossiers ! Thérèse, qui dans sa ferveur ne pouvoit se résoudre à craindre, tombe dans un relâchement où elle n' ose plus espérer. Jusques à quand, ô vierge d' Israël, serez-vous errante et vagabonde loin de l' époux ? Vous le fuyez, mais il vous poursuit par une secrète miséricorde. Vous voudriez pouvoir l' oublier ; mais, avouez-le, il vous est dur de résister à sa patience et à son amour. Hélas ! S' écrie-t-elle, mon plus cruel tourment étoit de sentir la grâce de
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Dieu malgré mon infidélité, et de voir qu' au lieu de me rebuter, il m' attiroit encore pour confondre mon ingratitude. Je ne pouvois être en paix sans me recueillir, et j' avois honte de me recueillir, à cause du superflu et des amusemens auxquels je tenois encore. Le voilà, mes frères, ce feu jaloux et vengeur que Dieu allume quelquefois dès cette vie ; ce purgatoire intérieur de l' ame, qui la ronge, qui la persécute, et qui lui fait ressentir une ardeur si cuisante, jusqu' à ce qu' il ait consumé tout ce qui est terrestre. L' ame, dit-elle, est dans ce feu, sans savoir quelle en est l' origine, ni qui l' allume, ni par où en sortir, ni comment l' éteindre ; et c' est comme une espèce d' enfer. En cet état, elle se croit indigne de prier ; et quoiqu' elle conseille l' oraison à son père, elle n' ose plus y puiser elle-même la joie de son Dieu. Jusque là, dans toutes ses fragilités, elle avoit dit au fond de son coeur : béni soit Dieu, qui n' a ôté de moi ni sa miséricorde, ni mon oraison ! Mais à ce coup l' esprit qui gémit dans les enfans de Dieu par des gémissemens ineffables, s' éteint en elle. Le voilà tombé cet astre qui brilloit au plus haut des cieux. Un an entier se passe, sans qu' elle se rapproche de Dieu. ô époux des ames, voici ce vous avez dit par la bouche d' un de vos prophètes, et je ne puis le répéter sans tressaillir de joie : l' épouse qui, parmi les hommes, a abandonné son époux, reverra-t-elle encore son époux revenir à elle ? Non, non, elle lui est infidèle, son coeur est corrompu. Et néanmoins, ajoutez-vous, Seigneur, ô vierge d' Israël, ô mon épouse, quoique
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tu aies livré ton coeur aux créatures, quoique tu sois ingrate et infidèle, quoique je sois jaloux, reviens, et je te recevrai ! Thérèse lut les confessions de saint Augustin, où Dieu a donné, pour la suite de tous les siècles, une source inépuisable de consolations aux ames les plus pécheresses. Accourez-y avec Thérèse, vous tous qui sentez aujourd' hui la plaie de votre coeur ! Augustin, tiré des profondeurs de l' abîme, ne peut néanmoins entièrement apaiser la crainte de Thérèse. L' exemple d' aucun saint, disoit-elle, ne doit me rassurer ; car je ne puis en trouver aucun dont les infidélités aient été aussi fréquentes que les miennes. Le voilà, mes frères, le fruit de ses chutes qui nous ont tant de fois étonnés. Vous le comprenez maintenant le conseil de Dieu, qui creuse dans le coeur de Thérèse cet abîme d' humiliation, pour y poser l' inébranlable fondement d' un édifice qui s' élèvera jusqu' au ciel au milieu des extases, où il ouvrira son sein à Thérèse, et où il se plaira aussi à lui découvrir la place qu' elle a méritée dans l' étang de soufre et de feu. Dix-huit ans s' étoient passés au milieu de sa solitude dans ce feu dévorant de la peine intérieure qui purifie l' ame en la détournant sans cesse contre elle-même. Mon coeur, dit-elle, étoit sans cesse déchiré. Aux craintes du dedans se joignirent les combats du dehors ; les dons intérieurs augmentèrent en elle. De cette oraison simple où elle étoit déjà, Dieu l' enlève jusque dans la plus haute contemplation ; elle entre dans l' union où se commence le mariage virginal de l' époux avec l' épouse ; elle est toute à lui, il est tout
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à elle. Révélations, esprit de prophétie, visions sans aucune image sensible, ravissemens, tourmens délicieux, comme elle le dit elle-même, qui lui font jeter des cris mêlés de douleur et de joie, où l' esprit est enivré, et où le corps succombe, où Dieu lui-même est si présent, que l' ame épuisée et dévorée tombe en défaillance, ne pouvant sentir de près tant de majesté ; en un mot, tous les dons surnaturels découlent sur elle. Ses directeurs d' abord se trompent. Voulant juger de ses forces pour la pratique des vertus par le degré de son oraison, et par le reste de foiblesse et d' imperfection que Dieu laissoit en elle pour l' humilier, ils concluent qu' elle est dans une illusion dangereuse, et ils veulent l' exorciser. Hélas ! Quel trouble pour une ame appelée à la plus simple obéissance, et menée, comme Thérèse, par la voie de la crainte, lorsque elle sent tout son intérieur bouleversé par ses guides ! J' étois, dit-elle, comme au milieu d' une rivière, prête à me noyer, sans espérance de secours. Elle ne sait plus ce qu' elle est, ni ce qu' elle fait quand elle prie. Ce qui faisoit sa consolation depuis tant d' années, fait sa peine la plus amère. Pour obéir, elle s' arrache à son attrait ; mais elle y retombe, sans pouvoir ni en sortir ni se rassurer. Dans ce doute, elle sent les horreurs du désespoir ; tout disparoît, tout l' effraie, tout lui est enlevé. Son Dieu même, en qui elle se reposoit si doucement, est devenu un songe pour elle. Dans sa douleur, elle s' écrie, comme Madeleine : ils me l' ont enlevé, et je ne sais où ils l' ont mis .
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ô vous, oints du Seigneur, ne cessez donc jamais d' apprendre, par la pratique de l' oraison, les plus profondes et les plus mystérieuses opérations de la grâce, puisque vous en êtes les dispensateurs. Que n' en coûte-t-il pas aux ames que vous conduisez, lorsque la sécheresse de vos études curieuses, et votre éloignement des voies intérieures, vous font condamner tout ce qui n' entre point dans votre expérience ! Heureuses les ames qui trouvent l' homme de Dieu, comme Thérèse trouva enfin les saints François De Borgia et Pierre D' Alcantara, qui lui aplanirent la voie par où elle marchoit ! Jusque alors, dit-elle, j' avois plus de honte de déclarer mes révélations, que je n' en aurois eu de confesser les plus grands péchés. Et nous aussi, mes frères, aurons-nous honte de parler de ces révélations, dans un siècle où l' incrédulité prend le nom de sagesse ? Rougirons-nous de dire à la louange de la grâce ce qu' elle a fait dans le coeur de Thérèse ? Non, non, tais-toi, ô siècle, où ceux mêmes qui croient toutes les vérités de la religion, se piquent de rejeter sans examen, comme fables, toutes les merveilles que Dieu opère dans ses saints. Je sais qu' il faut éprouver les esprits, pour voir s' ils sont de Dieu. à dieu ne plaise que j' autorise une vaine crédulité pour de creuses visions ! Mais à dieu ne plaise que j' hésite dans la foi quand Dieu se veut faire sentir ! Celui qui répandoit d' en haut, comme par torrens, les dons miraculeux sur les premiers fidèles, en sorte qu' il falloit éviter la confusion parmi tant d' hommes inspirés, n' a-t-il pas promis de répandre son esprit
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sur toute chair ? N' a-t-il pas dit, sur mes serviteurs et sur mes servantes ? Quoique les derniers temps ne soient pas aussi dignes que les premiers de ces célestes communications, faudra-t-il les croire impossibles ? La source en est-elle tarie ? Le ciel est-il fermé pour nous ? N' est-ce pas même l' indignité de ces derniers temps qui rend ces grâces plus nécessaires, pour rallumer la foi et la charité presque éteintes ? N' est-ce pas après ces siècles d' obscurcissement, où il n' y a eu aucune vision manifeste, que Dieu, pour ne se laisser jamais lui-même sans témoignage, doit ramener enfin sur la terre les merveilles des anciens jours ? Hé ! Où en est-on, si on n' ose plus, dans l' assemblée des enfans de Dieu, publier les dons de leur père ? Pourquoi ce ris dédaigneux, hommes de peu de foi, quand on vous raconte ce que la main de Dieu a fait ? Malheur à cette sagesse charnelle qui nous empêche de goûter ce qui est de l' esprit saint ! Mais que dis-je ? Notre raison est aussi foible que notre foi même. N' y a-t-il donc qu' à refuser de croire, pour s' ériger en esprit fort ? N' est-on pas aussi foible et aussi aveugle en ne pouvant croire ce qui est, qu' en supposant ce qui n' est pas ? Le seul mot de miracle et de révélation vous choque, ô foibles esprits qui ne savez pas encore combien Dieu est grand, et combien il aime à se communiquer aux simples avec simplicité ! Devenez simples, devenez petits, devenez enfans ; abaissez, abaissez-vous, ames hautaines, si vous voulez entrer au royaume de Dieu. Cependant taisez-vous ; et loin de douter des
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grâces que Thérèse a reçues en nos jours, pensez sérieusement à faire qu' elles rejaillissent jusque sur vous. Si votre fragilité vous décourage, si vous êtes tentés de désespoir à cause de l' abus de tant de grâces méprisées ; jetez les yeux sur cet exemple consolant, sur Thérèse tant de fois infidèle, et qui tant de fois a contristé le Saint-Esprit. Si votre coeur est partagé entre Dieu et le monde, regardez encore Thérèse, qui sentit si long-temps en elle le même partage. Qui cherchez-vous dans ce partage de vos affections ? Vous craignez, avouez-le de bonne foi, une vie triste et malheureuse en vous donnant sans réserve à Dieu. ô hommes tardifs et pesans de coeur pour croire les mystères de Dieu ! Hé ! Ne voyez-vous pas, et ne sentez-vous pas que c' est ce partage même, cette réserve des joies mondaines, qui vous ôte la paix, et qui commence dès cette vie votre éternel malheur ? Ainsi vous prenez pour remède le poison même. Malheureux, et dignes de l' être, vous ne goûtez librement ni les plaisirs de la terre, ni les consolations d' en haut. Rebutés de Dieu et du monde, et déchirés tout ensemble par vos passions et par vos remords ; portant en esclaves le joug rigoureux de la loi divine, sans l' adoucissement de l' amour ; en proie à la tyrannie du siècle et à la crainte des jugemens éternels de Dieu : lâches, vous soupirez dans votre esclavage, et vous craindriez de le rompre ! Vous savez où est la source du vrai bonheur, et vous n' osez vous y plonger ! Ah ! Insensés ! Que faites-vous ? Quel jugement pend sur votre tête ! Qui me donnera des paroles pour l' exprimer ? Il me semble que j' entends
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celles de Thérèse qui vous parle, et qui vous dit encore ce qu' elle disoit après que Dieu lui eut montré les peines éternelles : que ne pouvez-vous, s' écrioit-elle, verser des ruisseaux de larmes, et pousser des cris jusque aux extrémités de la terre, pour faire entendre au monde son aveuglement ! Elle avoit passé, mes frères, environ vingt ans dans ce partage et dans ce trouble où vous vivez ; jamais personne ne sut mieux qu' elle ce qu' il en coûte pour vouloir être encore à soi et aux créatures, quand Dieu nous veut sans réserve à lui. Ici je ne parle point pour Dieu ; écoutez-moi, je ne parle que pour vous-mêmes, et pour vous-mêmes, non par rapport à la vie future, mais par rapport à la présente. Voulez-vous être heureux, et l' être dès à présent ? Ne ménagez rien, ne craignez pas de trop donner en donnant tout ; jetez-vous, les yeux fermés, entre les bras du père des miséricordes et du Dieu de toute consolation : plus vous ferez pour Dieu, plus il fera pour vous. ô ! Si vous compreniez combien il est doux de le goûter, quand on ne veut plus goûter que lui seul, vous jouiriez du centuple promis dès cette vie ; votre paix couleroit comme un fleuve, et votre justice seroit profonde comme les abîmes de la mer. Thérèse, qui avoit été si long-temps malheureuse comme vous, tandis qu' elle vouloit encore quelque bonheur sensible ici-bas, commence à être dans la paix et dans la liberté, dès qu' elle achève de se perdre en Dieu. Hâtons-nous, mes frères, hâtons-nous de la considérer dans ce second état de vie, où, étant morte à elle-même intérieurement, elle fait au dehors de si grandes oeuvres.
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Second point. Pour bien comprendre la différence de ces deux états, dont l' un est un état de peine intérieure qui purifie Thérèse, et l' autre, un état de paix où elle est intimement unie avec Dieu ; rappelez, mes frères, ce qu' elle dit de ce feu qui ronge l' ame infidèle : " on ne sait ni qui l' allume, ni par où en sortir,... etc. "
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Dieu met au coeur de Thérèse le désir de la réforme de son ordre selon la règle primitive, sans mitigation, et selon les statuts du cardinal Hugues De Sainte-Sabine, confirmés par le pape Innocent Iv. La réforme d' un ordre ancien, combien, mes frères, est-elle plus difficile que la fondation même d' un ordre nouveau ! Il n' est pas question de semer, d' arroser, de faire croître les jeunes plantes encore tendres ; il s' agit de plier les tiges dures et tortueuses des grands arbres. Elle soutient tout à la fois les contradictions et des supérieurs de l' ordre, et de ses propres directeurs, et des évêques, et des magistrats de toutes les villes. Quelle est donc cette fille que rien ne peut décourager ? C' est, dit-elle, une pauvre carmélite chargée de patentes, et pleine de bons désirs. Sans appui, sans maison, sans argent, elle passe de tous côtés pour une insensée. En effet, elle doit paroître telle aux yeux des sages de la terre, et il n' y a que l' inspiration qui la puisse justifier. Mais le monde, vous le savez, mes frères, ne peut ni recevoir ni reconnoître l' esprit dont elle est animée. Cet esprit qui la pousse, tend également à établir l' oeuvre par elle, et à se servir de l' oeuvre pour la crucifier. D' abord rien ne lui paroît difficile ; et Dieu lui fait sentir une telle certitude pour le succès, qu' elle espère contre toute espérance, et qu' elle commence par des engagemens. Mais à peine est-elle engagée, que Dieu se retire. Le ciel, si pur et si serein pour elle, s' obscurcit tout-à-coup ; elle ne voit plus autour d' elle que nuages, qu' éclairs, que renversemens causés par l' orage. Mais, immobile comme la montagne sainte de Sion, elle oppose un
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front tranquille à tous les coups de la tempête. La voyez-vous, mes frères, qui marche de ville en ville, dans une rude voiture, presque toujours accablée de maladies, dans les rigueurs des saisons, et parmi des accidens périlleux ? On ne peut lire l' histoire de ses fondations, qu' elle a écrite si naïvement et avec tant de vivacité, sans se représenter les travaux, les fatigues et les dangers des apôtres pour planter la foi. Entrant dans les villes, après tant de peines, semblable au fils de l' homme, elle n' y trouve pas où reposer sa tête. N' importe, elle se couche sur la paille, couverte de son manteau ; elle espère en silence, et son espérance n' est jamais confondue. Quand Dieu ouvre les coeurs des habitans des villes pour lui donner quelques secours, elle dit à ses filles : on nous ravit la pauvreté qui étoit notre trésor. Hélas ! Lui répondent ses filles, étonnées de cette diminution de pauvreté qui leur paroît déjà une abondance, nous ne sommes plus pauvres ! à ce propos, mes frères, écoutez-la elle-même qui se rend avec simplicité un grand témoignage : " Dieu m' est témoin, dit-elle, que je n' ai jamais refusé aucune fille, faute de biens : ... etc. " ces travaux furent sans relâche pendant le reste
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de sa vie. Trente-deux monastères dans les principales villes d' Espagne ont été l' ouvrage de ses mains, qu' elle a eu la joie de voir avant de mourir ; et le roi Philippe Ii, admirant ses vertus, recevoit avec respect les lettres qu' elle lui écrivoit pour l' engager à protéger son ordre. Voilà, mes frères, ce que la sagesse mondaine, à qui l' esprit évangélique paroît une folie, n' auroit osé penser. Voilà ce que les richesses mêmes des grands de la terre n' auroient pu faire. Thérèse marchant de ville en ville, la croix en main pour toute possession et pour tout appui, l' a accompli aux yeux de ces faux sages, pour les confondre par ses bienheureuses folies. Mais étoient-ce là des communautés formées à la hâte, et composées sans choix ? Non, non, c' étoient les anges de la terre, qui ne tenoient rien d' ici-bas ; des vierges de corps et d' esprit, qui suivoient l' agneau partout où il va, jusque dans les plus âpres sentiers de la pénitence. Leur ferveur ajouta même plusieurs pratiques à la sévérité de leur règle. Les dons surnaturels étoient fréquens dans toutes ces maisons ; croyez Thérèse même qui nous l' assure. Quoique elle fût si expérimentée dans la perfection, et si jalouse de celle de ses filles, on la voit, dans ses écrits, toujours étonnée de leurs oraisons et de leurs vertus. Ici les hommes, sans rougir, marchent humblement sur les traces des filles. Je les vois, les Antoine De Jésus, les Jean De La Croix, ces hommes dont le ciel avoit enrichi l' Espagne au siècle passé ; je les vois devenir enfans aux pieds de Thérèse leur mère. C' est elle qui les conduit comme par la main pour la réforme
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de leur ordre, et ils recueillent dans leur sein enflammé les paroles de sagesse qui découlent de sa bouche. D' une source si pure, les ruisseaux de grâce s' épanchent dans toute l' église ; de l' Espagne ils vont inonder les autres royaumes. ô église de France, dès le commencement de ce siècle, on vous voit soupirer après cette nouvelle bénédiction, et vous en voyez, comme anges du Seigneur, traverser les Pyrénées pour nous apporter ce trésor ! Heureux ceux à qui nous devons les filles de Thérèse ! Heureuses tant de villes où la puissante main de Dieu les a multipliées ! Soyez à jamais, ô filles d' une telle mère, la bonne odeur de Jésus-Christ, et la consolation de toute l' église. Et vous, ô grand monastère, féconde tige, qui avez poussé tant de rejetons pour orner notre terre, et pour y faire fleurir toutes les vertus, soyez d' âge en âge, et de siècle en siècle, la gloire d' Israël et la joie des enfans de Dieu ! Que les temps, qui ruinent les plus solides ouvrages, ne fassent que vous rendre plus vénérable ; que vous portiez dans votre sein, comme dans un asile sacré, les ames tendres qui viennent s' y réfugier, et que vous couvriez encore de votre ombre tout ce qui espère en Dieu autour de vous ! Que vos oraisons nourries encore par le jeûne, pour parler comme Tertullien, soient comme un encens qui monte sans cesse jusqu' au trône de la grâce ! Que la mortification de tous les sens facilite ici le recueillement, ou plutôt que le recueillement et la sévère jalousie de l' ame contre elle-même pour se réserver toute à l' époux, fasse la vraie mortification ! Peuple fidèle qui m' écoutez, ce n' est plus moi qui dois vous parler de Thérèse ; il faut que je me taise,
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et que ses oeuvres seules la louent. Jugez d' elle par ce qu' elle a fait, et que Dieu met aujourd' hui au milieu de vous. Les voilà les filles de Thérèse ; elles gémissent pour tous les pécheurs qui ne gémissent pas, et ce sont elles qui arrêtent la vengeance prête à éclater. Elles n' ont plus d' yeux pour le monde, et le monde n' en a plus pour elles. Leurs bouches ne s' ouvrent plus qu' aux sacrés cantiques ; et hors des heures des louanges, toute chair est ici en silence devant le Seigneur. Les corps tendres et délicats y portent jusque dans l' extrême vieillesse, avec le cilice, le poids du travail. Ici ma foi est consolée ; ici on voit une noble simplicité, une pauvreté libérale, une pénitence gaie, et adoucie par l' onction de l' amour de Dieu. Seigneur, qui avez assemblé vos épouses sur la montagne, pour faire couler au milieu d' elles un fleuve de paix, tenez-les recueillies sous l' ombre de vos ailes ; montrez au monde vaincu celles qui l' ont foulé aux pieds. Hélas ! Ne frappez point la terre, tandis que vous y trouverez encore ce précieux reste de votre élection. Mais plutôt m' oublier moi-même, que d' oublier jamais ces livres si simples, si vifs, si naturels, qu' en les lisant on oublie qu' on lit, et qu' on s' imagine entendre Thérèse elle-même ! ô qu' ils sont doux ces tendres et sages écrits, où mon ame a goûté la manne cachée ! Quelle naïveté, mes frères, quand elle raconte les faits ! Ce n' est pas une histoire, c' est un tableau. Quelle force pour exprimer ses divers états ! Je suis ravi de voir que les paroles lui manquent, comme à saint Paul, pour dire tout ce qu' elle sent. Quelle foi vive ! Les cieux lui sont ouverts, rien ne
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l' étonne, et elle parle aussi familièrement des plus hautes révélations, que des choses les plus communes. Assujettie par l' obéissance, elle parle sans cesse d' elle, et des sublimes dons qu' elle a reçus, sans affectation, sans complaisance, sans réflexions sur elle-même : grande ame, qui se comptant pour rien, et qui, ne voyant plus que Dieu seul en tout, se livre sans crainte elle-même à l' instruction d' autrui. ô livres si chers à tous ceux qui servent Dieu dans l' oraison, et si magnifiquement loués par la bouche de toute l' église, que ne puis-je vous dérober à tant d' yeux profanes ! Loin, loin, esprits superbes et curieux, qui ne lisez ces livres que pour tenter Dieu, et pour vous scandaliser de ses grâces ! Où êtes-vous, ames simples et recueillies, à qui ils appartiennent ? Mais que vois-je, que vois-je de tous côtés, mes frères, sinon des chrétiens aliénés de la voie de Dieu ? L' esprit de prière n' est plus sur la terre. Où est-ce que nous le trouverons ? Sera-ce dans ces hommes si pleins d' eux mêmes et du monde, qu' ils sont toujours vides de Dieu ? Quel est donc, mes frères, le grand péché qui est la source de tous les autres, et qui couvre la face de la terre d' un déluge de maux ? Vous me direz, c' est l' impureté, c' est l' avarice, c' est l' ambition. Non, non, mes frères ; c' est la dissipation seule qui produit ces crimes et tous les autres. Il n' y a plus d' homme sur la terre, qui pense, retiré en lui-même au fond de son coeur. Non, non, il n' y en a plus. Tous pensent selon que la vanité égare leurs pensées ; tous pensent hors d' eux-mêmes, et le plus loin d' eux qu' il leur est possible. Quelques-uns s' appliquent à régler leurs moeurs ; mais c' est commencer
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l' ouvrage par le dehors ; mais c' est couper les branches du vice, et laisser la tige qui repousse toujours. Voulez-vous couper la racine ? Rentrez au dedans de vous-mêmes, réglez vos pensées et vos affections, bientôt vos moeurs se régleront comme d' elles-mêmes. Attaquez cette dissipation, qui ne sauroit être innocente, puisque elle ouvre votre coeur, comme une place démantelée, à toutes les attaques de l' ennemi. Ne me dites pas : je récite des prières. Est-ce le sacrifice de votre coeur, ou celui de vos lèvres que Dieu demande ? ô juifs, qui portez indignement le nom de chrétiens ! Si la prière intérieure ne se joint aux paroles que vous prononcez, votre prière est superstitieuse, et vous n' êtes point adorateurs en esprit et en vérité. Vous ne priez pas, mais vous récitez des prières, comme dit saint Augustin : voulez-vous que Dieu vous écoute, si vous ne vous écoutez pas vous-mêmes ? Oserez-vous alléguer vos occupations pour vous dispenser de prier ? Malheureux, qui oubliez ainsi l' unique nécessaire pour courir après des fantômes ! Les faux biens que vous cherchez s' enfuient, la mort s' avance. Direz-vous donc aussi au Dieu vivant, dans les mains de qui vous allez tomber : je n' ai pu penser ni à votre gloire ni à mon salut, parce que je leur ai préféré les songes inquiets de ma vie ? Et ne savez-vous pas, ô hommes insensés et ennemis de vous-mêmes, que c' est par le recueillement que l' on se met en état d' agir avec plus de sagesse et de bénédiction ? Les heures que vous réservez à la prière seront les plus utilement employées, même pour le succès de vos affaires temporelles. Encore une fois, qui est-ce
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qui vous empêche de prier ? Avouez-le, ce n' est pas le travail pour le nécessaire, c' est l' inquiétude pour le superflu, c' est la vanité pour des amusemens. Je vous entends, vous vous plaignez de votre sécheresse intérieure. Retranchez-en la source, quittez les vaines consolations qui vous rendent indignes de goûter celles de la foi. Vous vous trouvez vides de Dieu dans l' oraison, faut-il s' en étonner ? Qu' avez-vous fait, qu' avez-vous souffert pour vous en remplir ? Combien de fois, dit saint Augustin, l' avez-vous fait attendre ! Combien de fois l' avez-vous rebuté lorsqu' il frappoit amoureusement à la porte de votre coeur ! N' est-il pas juste qu' à la fin il vous fasse attendre, et que vous vous humiliiez sous sa main ? Mais, direz-vous, j' ai des distractions perpétuelles. Hé bien, si votre imagination est distraite, que votre volonté ne le soit pas. Quand vous apercevez la distraction, laissez-la tomber d' elle-même sans la combattre directement, tournez-vous doucement vers Dieu sans vous décourager jamais. Soutenez, soutenez, comme dit l' écriture, les longues attentes de Dieu, qui viendra enfin. Arrêtez votre esprit par le secours d' un livre, si vous en avez encore besoin. Ainsi attendez Dieu en paix, et sa miséricorde luira enfin sur vous. ô si vous aviez le courage d' imiter Thérèse ! Mais moi-même je n' ai pas le courage de vous proposer son exemple, tant votre lâcheté me rebute. Elle ne demanda jamais à Dieu qu' une seule fois en sa vie le goût et la consolation sensible dans l' oraison. à peine l' eut-elle fait, que son coeur le lui reprocha, et qu' elle en eut honte. C' est qu' elle savoit
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qu' il s' agit, dans la vie intérieure, non d' imaginer, non de sentir, non de penser beaucoup, mais de beaucoup aimer. L' union avec Dieu consiste, dit-elle, non dans les ravissemens, mais dans la conformité sans réserve à la souveraine volonté de Dieu ; non dans les transports délicieux, mais dans la mort à toute volonté propre. ô combien d' ames s' égarent dans l' oraison, parce qu' elles se cherchent elles-mêmes en croyant chercher Dieu, et que, prenant ses dons pour lui-même, elles se les approprient ! Ames mercenaires, qui ne cherchent Dieu qu' autant qu' il est doux, et qui ne peuvent veiller une heure en amertume avec Jésus agonisant ! Elles ne cherchent dans l' oraison que le charme des sens, que la ferveur de l' imagination, que les images magnifiques, que les tendres sentimens, que les hautes pensées : aveugles, qui prennent le charme grossier pour Dieu, et qui croient que Dieu leur échappe quand ce beau fantôme s' évanouit : aveugles, qui ne voient pas quelle est la vraie et simple oraison, que Tertullien marque en disant : nous prions seulement de coeur. Où sont ceux que Dieu mène par le pur amour et par la pure foi, qui croient sans voir, qui aiment sans se soucier de sentir, et à qui Dieu seul suffit également dans tous les changemens intérieurs ? Où sont-elles ces ames plus grandes que le monde entier, et dont le monde n' est pas digne ? Dieu les voit, Dieu les voit, mes frères ; et je le prie de vous donner des yeux illuminés du coeur pour être dignes de les voir aussi. Thérèse, qui avez prié sur la terre pour les pécheurs avec une si tendre compassion, votre charité,
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loin de s' éteindre, ne mourra jamais dans le sein de Dieu. Remettez donc devant ses yeux, en notre faveur, les soupirs et les larmes que l' iniquité d' ici-bas vous a tant de fois arrachés. Vous ne pouvez plus, dans la gloire, pleurer sur nos misères ; mais vous pouvez nous obtenir la grâce de pleurer sur nous-mêmes. En attendant que vous nous obteniez des vertus, du moins obtenez-nous des larmes. Pleurer, frapper nos poitrines, nous prosterner contre terre à la face de notre Dieu, sera notre consolation. Envoyez-le, Seigneur, cet esprit de contrition et de prière, envoyez-le sur vos enfans. C' est Thérèse qui vous le demande avec nous ; Thérèse, des entrailles de qui vous avez fait couler des fleuves d' eau vive sur les hommes des derniers temps. Nous en sommes altérés, Seigneur, c' est notre soif qui parle pour nous ; c' est Thérèse elle-même, animée de votre gloire, qui joint ses voeux aux nôtres. Faites donc, ô mon Dieu, et ne tardez pas ; formez vous-même dans vos enfans ce cri si tendre et si touchant : ô père ! ô père ! Demandez vous-même à vous-même, demandez en nous et pour nous, afin que notre prière ne soit qu' amour, et que nous passions enfin, de cet amour de foi, en l' amour de l' éternelle jouissance. C' est, mes frères, ce que je vous souhaite, au nom du père, et du fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.