REEFLEXIONS DE FENELON SUR LE COMMERCE
Les réflexions de Fénelon sur le commerce et les réactions de Voltaire
Un article de Jacques CORMIER
publié dans le Bulletin des amis de Robert Challe
N° 16 2017
Les réflexions de Fénelon sur le commerce
et les considérations de Voltaire
Dans les années 1694-1696, moment où Fénelon rédige ses Aventures de Télémaque, qui paraîtra clandestinement en 1699, il y a longtemps que s’affrontent, en France, les théoriciens de la politique économique.
Sous le règne de Henri IV (1589-1610), Maximilien de Béthune, connu sous le nom de Sully, attaché aux traditions agricoles et hostile à l’industrie, était persuadé que la prospérité du pays ne pouvait provenir que des produits de la terre. Il dénonçait dans une formule demeurée célèbre l’enrichissement « illusoire » de l’Espagne qui reposait sur la découverte aléatoire de l’or des Amériques :
Labourage & pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, et les vraies mines et trésors du Pérou. [1]
Les théories prônées par Sully s’opposaient à celles de Barthélemy de Laffémas. Ce dernier, convaincu que l’enrichissement provenait, non de l’agriculture, mais de l’artisanat et du commerce, rédigea plusieurs essais sur le sujet[2]. Il en concluait qu’il fallait créer et développer des manufactures royales pour pouvoir répondre aux besoins du pays tout en réduisant les importations. Concrètement, pour ne plus dépendre de l’extérieur, Laffémas implanta l’industrie de la soie dans le sud de la France : mûriers, vers à soie, magnaneries…, c’est un plan ambitieux qui se mit en place entre Lyon et la Provence, avec l’aide d’Olivier de Serres : Lyon en recueillit plus tard l’héritage. Le développement de la production des articles de luxe en France, dans les années 1600-1610, pour éviter la fuite des capitaux à l’étranger préfigure directement la politique de Colbert[3] ; de fait, celui-ci reprendra cette stratégie économique sans faire état de ce qu’il devait à son prédécesseur.
Dans un premier temps, Colbert avait compris que l’agriculture héritée de Sully ne suffisait pas à assurer le développement de la France et qu’il fallait encourager et structurer l’industrie, une activité alors embryonnaire, par la création de manufactures d’État : il ranima la manufacture des Gobelins, cette manufacture créée par Laffémas et qui concurrencera les artisans tapissiers des Flandres et les maîtres verriers de Venise. Dans un second temps, Colbert avait saisi toute l’importance, pour assurer la vente des produits de son industrie en expansion, d’un réseau de diffusion qui passait par la création d’une marine puissante et la fondation de compagnies commerciales créées à l’exemple de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales[4], la VOC, que les Provinces-Unies avaient fondée en 1602. Certes, sous Henri IV, des compagnies commerciales maritimes royales avaient déjà été établies[5] mais elles avaient périclité à la mort du souverain, tandis que pendant tout le xviie siècle, le dynamisme et la réussite de la VOC retenaient tout particulièrement l’attention des contemporains. Colbert rétablit les compagnies commerciales maritimes et entend concurrencer les Hollandais.
Parmi d’autres, Fénelon, en 1694, puis, trente ans plus tard, Voltaire, dans les années 1724, consignent dans leurs écrits leur intérêt pour les systèmes économiques de leur temps. Il faut noter d’emblée que la rédaction des Aventures de Télémaque[6] s’inscrit dans un vaste plan de formation d’un adolescent destiné à régner, et que Voltaire aura lu Télémaque avant de traiter de sujets économiques. Leurs réflexions à tous deux s’inscrivent précisément dans le sillage de la gestion de Colbert, dont les théories et la pratique visaient à créer des « manufactures [qui] produir[aie]nt des retours en argent, ce qui est le seul but du commerce et le seul moyen d’augmenter la grandeur et la puissance de l’État »[7].
Fénelon n’est pas un « économiste » au sens où nous l’entendons, mais il n’empêche que le précepteur du duc de Bourgogne s’était préparé à jouer un rôle politique au cas où son élève serait monté sur le trône, -- ce qui s’est vu plus d’une fois dans l’histoire de France puisque le cardinal de Fleury, responsable de l’éducation de Louis XV lui servit de « premier ministre » pendant de longues années avant sa maturité. Le regard que Fénelon jette sur le monde dans Les Aventures de Télémaque, rédigé vers 1694, est donc prospectif et programmatique : il examine et confronte différents systèmes économiques présents en Europe à son époque. S’il marque sa préférence pour un système patriarcal fondé sur les valeurs traditionnelles de la terre ‒ labourage et pâturage ‒ il ne peut s’empêcher d’observer la puissance politique des Provinces-Unies dont l’enrichissement et le développement se fondent sur le commerce international qui les lance jusqu’aux confins du monde connu. Ses Aventures de Télémaque sont émaillées d’observations ponctuelles qui montrent qu’il a identifié les mécanismes qui régissent le commerce international à son époque, qu’il est capable d’en formuler les principes et de dénoncer les décisions qui lui sont néfastes.
Fénelon connaît très bien le rôle de Colbert, cet homme providentiel qu’il avait fréquenté, qu’il admire et dont la fille Madame de Beauvillier et son époux lui avaient demandé d’établir un plan d’éducation pour leur propre fille. Comme ses contemporains, il sait que « le commerce de la Compagnie des Indes florissait […] établi sous les auspices de feu Jean-Baptiste Colbert, qui […] était l’homme de France qui connaissait le mieux de quelle utilité le commerce était au royaume »[8]. Il sait qu’à la mort de Colbert, Louvois, qui avait hérité de la direction des manufactures et du commerce intérieur, avait obtenu la prohibition des cotonnades en provenance des Indes, mesure préjudiciable au trafic de la Compagnie dont ce commerce constituait un élément important puisque, comme Robert Challe le signale en entrant dans le détail des cargaisons venues des Indes, « le trafic consiste en toiles, poivre, coton, soieries, salpêtre et autres marchandises, qui viennent de Bengale... » [9]. Les contemporains avaient reporté tous leurs espoirs sur Seignelay[10], le fils de Colbert, qui après la mort de ce dernier le 6 septembre1683, poursuivait l’expansion de la marine, donnant une impulsion décisive au commerce extérieur et favorisant l’épanouissement des manufactures. Comme son père, Seignelay avait été un organisateur énergique et exigeant disposant d’un réseau d’informateurs fiables et bien informés[11]. La mort de Seignelay le 3 novembre 1690 avait ruiné tous les plans des colbertides. Il ne restait plus qu’à le regretter et à stigmatiser leurs successeurs.
Le traité d’Utrecht (1713) sonnera donc comme un glas funèbre aux oreilles des contemporain de Fénelon : une confirmation de la ruine de la France. Colbert ou Seignelay n’auraient jamais signé ce traité parce qu’ils auraient compris qu’il consacrait l’abaissement du royaume[12]. A cette occasion, Robert Challe rappelle le souci primordial de Colbert :
[99] À l'égard du commerce, on peut assurer que jamais ministre ne s’y est plus appliqué que lui [Colbert], uniquement par rapport à l’intérêt que le Roi en tirait et à l’utilité et aux richesses qu’il apportait dans le royaume[13].
Il blâme la gestion calamiteuse du commerce maritime placé sous la direction du chancelier de Pontchartrain ; il souligne le déclin de cette activité vitale pour la France :
[Le] commerce si florissant sous le ministère de défunt M[onsieu]r Colbert s’est tout à fait anéanti depuis que Pontchartrain lui a eu succédé ; [...] lui qui n’a jamais su que la chicane et n’a été conduit que par son entêtement, sa prévention et son avarice[14].
A la différence de Fénelon dont Saint-Simon dit qu’il était « pauvre comme Job », Voltaire, a été initié très tôt au maniement de l’argent. Si son regard sur l’économie évolue au fil du temps, il a connu du temps du Régent le système de Law et les profits faramineux que ce dernier a entraînés pour les spéculateurs avisés : en 1738, le philosophe justifie Law et dénonce les autorités françaises qui ont laissé mourir « dans la misère à Venise »[15] un homme aussi prodigieux. Voltaire a connu l’argent facile du commerce triangulaire et, s’il s’est insurgé publiquement contre l’esclavage dans une page de Candide, « le nègre de Surinam », il a empoché discrètement les bénéfices d’opérations fort lucratives. Les rendements de l’argent placé dans le commerce maritime, ce qu’on appelle le prêt « à grosse aventure », permettent en effet au milieu du xviiie siècle de retirer des gains allant de 16% à 73%, voire même dans certains cas à 130%, mais il arrive, bien sûr, que le navire soit « péry ». En 1751, au moment où il acquiert et aménage Ferney, Voltaire, qui a placé de l’argent sur le Saint Georges à Séville, espère un rendement de 49% : il obtiendra pour finir 59%[16]. Voltaire est un spéculateur dans l’âme, surtout attiré par les profits qu’un particulier peut retirer des opérations commerciales. Un système économique ne l’intéresse que par les bénéfices qu’il peut engendrer.
***
Fénelon avait osé formuler dans son Télémaque une phrase accablante qui avait retenu l’attention des lecteurs dès la parution du roman (1699) : Elle mettait en question non le pouvoir du Roi, mais la façon dont ce pouvoir était exercé :
[174] Ce sont les dépenses inutiles qui ont obligé Monsieur l'abbé de Fénelon de dire dans son Télémaque que les Crétois vivaient hureux en ne s'écartant point des lois du sage Minos, qui avait prétendu que par la conduite et la sagesse d’un seul homme un million de peuple véquît hureux, et non pas qu’un million d’hommes ne servissent par leur travail qu’à remplir l’ambition d’un seul[17].
Une autre formule avait retenu l’attention des contemporains. Il s’agissait de l’organisation utopique d’un État dans lequel il faudrait :
faire triompher la bonne foi, et n’y souffrir aucune injustice ; au contraire punir sévèrement le moindre manque de probité [...] ne revêtir d’autorité que des gens sages, et d’un esprit droit, et de bonnes mœurs, et, si faire se peut, si peu portés à leur intérêt personnel qu’ils soient toujours prêts à le sacrifier à l’intérêt général[18].
Cette organisation deviendrait moins utopique pour peu que « le mérite et la probité personnelle soient la seule et unique porte des emplois de distinction »[19]. L’auteur de cette remarque, Robert Challe, conclut en imaginant l’organisation d’une société fondée, comme l’ancienne république romaine, sur la satisfaction des besoins élémentaires dans une harmonie édénique :
Je fais ici une description dans le goût de Télémaque, et c’est en effet le modèle que je voudrais suivre[20].
Fénelon, dans une apologie de l’âge d’or, reprenait les idées de Boisguilbert[21] sur les qualités du travail de la terre en leur associant les prestiges de « la vertu » et la condamnation du commerce. Au lendemain de la plus grave crise économique que la France ait connue, après la crise de 1693-1694[22], Boisguilbert affirmait dans Le Détail de la France que toute richesse tire son origine du produit de la terre :
Le fondement & la cause de toutes les richesses de l’Europe sont le bled, le vin, le sel & la toile, qui abondent en France : & on ne se procure les autres choses qu’à proportion que l’on a plus qu’il ne faut de ceux-cy. Et ainsi tous les biens de la France étans divisez en deux espèces, en biens en fond, & en biens de revenu d’industrie : ce dernier qui renferme trois fois plus de monde que l’autre, hausse ou baisse à proportion du premier. En sorte que l’excroissance des fruits de la terre, fait travailler les avocats, les médecins, les spectacles, & les moindres artisans de quelque art qu’ils puissent être : de manière qu’on voit très peu de ces sortes de gens dans les païs stériles, au lieu qu’ils abondent dans les autres[23].
Puis, il concluait par une évidence : « Le roy […] ne peut jamais tirer autant d’impôts de sujets pauvres comme de riches »[24]. Fénelon avait repris ces idées au Livre VII de Télémaque où Adoam présente les mœurs des habitants de la Bétique qui, ne faisant :
aucun commerce au dehors, […] n’avaient besoin d’aucune monnaie. […] Pour la navigation, ils l’admirent à cause de l’industrie de cet art ; mais ils croient que c’est un art pernicieux. Si ces gens-là, disent-ils, ont suffisamment en leur pays ce qui est nécessaire à la vie, que vont-ils chercher en un autre ? ce qui suffit aux besoins de la nature ne leur suffit-il pas ? Ils mériteraient de faire naufrage, puisqu’ils cherchent la mort au milieu des tempêtes, pour assouvir l’avarice des marchands, et pour flatter les passions des autres hommes[25].
Fénelon y revient encore au Livre XIV, où le « sage Érichton » affirme :
Appliquez-vous […] à multiplier chez vous les richesses naturelles, qui sont les véritables : cultivez la terre pour avoir une grande abondance de blé, de vin, d’huile et de fruits ; ayez des troupeaux innombrables […]. Pour l’argent monnayé, il ne faut en faire aucun cas, qu’autant qu’il est nécessaire ou pour les guerres inévitables qu’on a à soutenir au dehors, ou pour le commerce des marchandises nécessaires qui manquent dans votre pays : encore serait-il à souhaiter qu’on laissât tomber le commerce, à l’égard de toutes les choses qui ne servent qu’à entretenir le luxe, la vanité et la mollesse[26].
De telles affirmations, même accompagnées de justifications tirées de la « sage » et « vertueuse » nature, entraient directement en contradiction avec les théories et la pratique de Colbert.
Mais Fénelon n’était pas uniquement un chantre du Paradis perdu : sa pensée est beaucoup plus nuancée qu’il n’y paraîtrait si l’on se contentait des deux citations énoncées ci-dessus. Dans le Livre II (paragraphes 3 et 4) de Télémaque, il s’attache à décrire la puissance et la richesse de la république de Tyr et des Phéniciens, en qui les contemporains reconnurent la Hollande et sa puissance commerciale. Il y analyse le fonctionnement de cet État, si différent de la France de Louis XIV, et les raisons de son développement. Les contemporains de Fénelon ont donc pu trouver, toujours dans Télémaque, une description très précise des mécanismes qui régissent un État mercantiliste ‒ la Hollande de son temps ou la France à l’époque du grand Colbert.
Fénelon formule des observations concrètes sur les moyens du commerce maritime : il considère que l’établissement et la création d’un port dépendent essentiellement de sa situation, de son emplacement et de la disposition des lieux[27]. Sur ce point, Fénelon, quoique homme de cabinet, est capable d’apprécier la disposition et l’organisation de l’espace : pour lui, le mouillage est essentiel. Fénelon situe le cœur de son empire commercial dans un lieu ouvert sur la mer, équipé de môles, protégé des tempêtes et directement accessible à tous les navires de commerce, qui s’y pressent,
[Au pied du mont Liban,] s’élève dans la mer l’île où est bâtie la ville de Tyr. Cette grande ville semble nager au-dessus des eaux, et être la reine de toute la mer […]. Elle a deux grands môles, semblables à deux bras, qui s’avancent dans la mer, et qui embrassent un vaste port où les vents ne peuvent entrer. Dans ce port on voit comme une forêt de mâts de navires ; et ces navires sont si nombreux qu’à peine peut-on découvrir la mer qui les porte.
Il conclut :
La situation de Tyr est heureuse pour le commerce[28].
Bien qu’Amsterdam serve à l’évidence de modèle à la « Tyr » de Fénelon, la capitale des Provinces-Unies ne bénéficie pas d’une disposition des lieux aussi favorable que la création romanesque de Fénelon : en effet, toutes les marchandises étaient débarquées à Texel avant d’être acheminées sur des péniches dans les villes de l’intérieur :
Le regard que Fénelon jette sur les ports dans lesquels les navires de Télémaque sont amenés à s’arrêter se caractérise par un souci politique de contrôle de l’espace en fonction de considérations commerciales. Pour les hommes de terrain qui ont l’expérience des choses de la mer, il faut que les mouillages soient profonds : les navires doivent pouvoir accéder facilement à la terre, afin que les marchandises n’aient pas l’obligation d’être transbordées dans des barques avant d’être déposées à quai.
Avant Fénelon, Jean-Baptiste Tavernier[29], qui avait fait six voyages en Asie de 1636 à 1666, avait déjà signalé l’importance de la qualité des fonds marins dans l’établissement d’un port commercial :
S’il prenait envie à quelque nation d’établir une compagnie de commerce aux Indes orientales, avant toutes choses elle doit penser à se faire un bon poste en ces pays-là, pour avoir le moyen d’y radouber ses vaisseaux, & d’y passer le temps des moussons. C’est manque d’un bon havre que la compagnie anglaise ne s’est pas tant avancée qu’elle aurait pu faire, parce qu’il est impossible qu’un vaisseau puisse demeurer deux ans sans être radoubé, ou sans être mangé des vers. // Mais parce que le chemin est long de l’Europe aux Indes orientales, il serait à désirer que la Compagnie pût avoir un lieu de retraite au Cap de Bonne-Espérance[30] pour y faire aiguade & prendre quelques rafraîchissements, soit en allant, soit en revenant des Indes, mais surtout en revenant, parce que les vaisseaux étant chargés, ils ne peuvent prendre provision d’eau pour longtemps[31].
En revanche, Voltaire, qui est un homme de bureau et de cabinet, observe dans son Essai sur les mœurs, que le mouillage n’est pas une condition sine qua non de la prospérité d’un port ; ce qui lui confère sa richesse, c’est l’intense activité commerciale générée par le commerce maritime qui y règne : « Amsterdam, malgré les incommodités de son port, devint le magasin du monde »[32]; chose que William Temple, avait déjà affirmé :
Il est évident que ce n’est pas le havre [la situation ou la qualité du mouillage] qui attire le commerce, mais que c’est le commerce qui remplit le havre, & qui le fait valoir. L’on ne peut pas dire non plus, que ce soient les denrées qui naissent dans le pays, qui enrichissent la Hollande, mais c’est par l’industrie & à force de travailler, que l’on y acquiert des richesses, en faisant des étoffes [= marchandises] de tout ce que les pays étrangers produisent : étant le magasin général de l’Europe, & fournissant toutes ses parties de tout ce que le marché attire, ou témoigne avoir besoin, & parce que leurs matelots sont en effet, ce que l’on dit qu’ils sont, les portefaix communs du monde. Puis donc que ce ne sont pas les havres ni les denrées qui naissent dans le pays, qui y attirent & établissent le commerce, […] il ne sera pas hors de propos de considérer quelle en peut être la naturelle & la plus veritable source, d’où il dérive. Car si nous disons que c’est de l’industrie, nous serons encore en peine de chercher la cause qui fait le peuple industrieux dans un pays, & fainéant dans un autre […] Les corps qui ont de la vigueur s’appliquent au travail, & ceux qui n’en ont point réparent ce défaut par l’industrie, en ayant recours aux inventions & à l’adresse. La nécessité la produit, & l’imitation l’augmente, jusqu’à ce qu’elle se tourne avec le temps en habitude, & devienne comme naturelle au pays. Et alors si le pays est situé sur la mer, elle s’applique au commerce : tant parce que ce qui défaut à ce qui est nécessaire à la subsistance de tant de gens, doit nécessairement être suppléé par ce qui peut être fourni de dehors, que parce qu’à cause de la multitude du peuple, & la petite étendue du pays, la terre devient si chère, que l’argent que l’on y emploie rend fort peu, & on le hasarde sur la mer, où les profits sont si grands qu’ils récompensent bien le risque que l’on y court. [33]
Dès lors, aux considérations d’ordre économique, s’ajoutent pour les hommes d’expérience et les hommes de cabinet des préoccupations militaires : il faut que le poste ou le comptoir soit facile à défendre par un fort et par une force militaire. On sait par exemple qu’en août 1690 le port de Pondichéry n’était défendu que par un médiocre bastion de terre crue recouvert de chaux. Ce n’est qu’en 1704 que François Martin et Noyon construiront un nouveau fort de forme pentagonale à cinq bastions, en s’inspirant du modèle en étoile à la Vauban, pour assurer la protection du port
Si la disposition des lieux est, aux yeux de Fénelon, un facteur essentiel conditionnant la réussite de la création d’un port de mer, cet élément ne suffit pas. Fénelon souligne l’importance du caractère ou de la « nature » des hommes, du civisme des habitants, de leur attention au bien commun. Les qualités personnelles des habitants de Tyr constituent un facteur de succès déterminant pour un port de commerce.
Ils sont industrieux, patients, laborieux, propres, sobres et ménagers ; ils ont une exacte police ; ils sont parfaitement d’accord entre eux ; jamais peuple n’a été plus constant, plus sincère, plus fidèle, plus sûr, plus commode à tous les étrangers.
Les contemporains opposaient volontiers le manque de décision et l’indolence des autorités françaises qui succèdèrent à Colbert et à Seignelay au pragmatisme, à la résolution et au sens de l’organisation des Anglais et des Hollandais. Établis à Madras dans un site qui offrait un port naturel mieux disposé que celui de Pondichéry et dont la situation permettait une défense plus aisée, les Anglais montraient par leurs réalisations l’exemple de ce que les Français auraient pu faire si les dirigeants en avaient eu la volonté. Quant aux Hollandais, ils avaient pu s’installer durablement à Trinquemalé, à Ceylan dans un site favorable où les Français n’avaient pas réussi à rester plus de cinq mois.
Fénelon met à plusieurs reprises l’accent sur la nécessaire « bonne foi » [34], condition sine qua non de la confiance qui doit présider aux relations commerciales. Il juge aussi que l’attitude des autorités politiques face aux étrangers constitue, d’autre part, un facteur décisif dans l’établissement de relations commerciales :
Mais expliquez-moi […] les vrais moyens d’établir un jour à Ithaque un pareil commerce. ‒ Faites, me répondit-il, comme on fait ici : recevez bien et facilement tous les étrangers ; Faites-leur trouver dans vos ports la sûreté, la commodité, la liberté entière ; ne vous laissez jamais entraîner ni par l’avarice ni par l’orgueil. Le vrai moyen de gagner beaucoup est de ne vouloir jamais trop gagner, et de savoir perdre à propos. Faites-vous aimer par tous les étrangers. Souffrez même quelque chose d’eux ; craignez d’exciter leur jalousie par votre hauteur. Soyez constant dans les règles du commerce ; qu’elles soient simples et faciles ; accoutumez vos peuples à les suivre inviolablement ; punissez sévèrement la fraude, et même la négligence ou le faste des marchands, qui ruine le commerce en ruinant les hommes qui le font. Surtout n’entreprenez jamais de gêner le commerce pour le tourner selon vos vues. Il faut que le prince ne s’en mêle point, de peur de le gêner, et qu’il en laisse tout le profit à ses sujets qui en ont la peine. Autrement, il les découragera. Il en tirera assez d’avantages par les grandes richesses qui entreront dans ses États. […] Il n’y a que le profit et la commodité qui attirent les étrangers chez vous ; si vous leur rendez le commerce moins commode et moins utile, ils se retirent insensiblement, et ne reviennent plus, parce que d’autres peuples, profitant de votre imprudence, les attirent chez eux, et les accoutument à se passer de vous[35].
A contrario, Fénelon envisage les mesures néfastes au commerce : une police mesquine multipliant les entraves à la liberté.
Vous ne trouvez plus maintenant ici que les tristes restes d’une grandeur qui menace ruine. […] Pygmalion craint tout et des étrangers et de ses sujets. Au lieu d’ouvrir, suivant notre ancienne coutume, ses ports à toutes les nations les plus éloignées, dans une entière liberté, il veut savoir le nombre des vaisseaux qui arrivent, leur pays, les noms des hommes qui y sont, leur genre de commerce, la nature et le prix de leurs marchandises, et le temps qu’ils doivent demeurer ici. Il fait encore pis, car il use de supercherie pour surprendre les marchands et pour confisquer leurs marchandises. Il inquiète les marchands qu’il croit les plus opulents, il établit, sous divers prétextes, de nouveaux impôts[36].
L’efficacité du commerce refuse tout contrôle vexatoires de l’autorité nationale. Les mesures tatillonnes risquent d’interférer avec l’autonomie commerciale et de faire fuir les commerçants vers des lieux où l’on est plus libre. La liberté totale favorise le commerce international.
Par ailleurs, conformément à la politique de Colbert, l’élitisme et la méritocratie constituent les facteurs déterminants du développement économique :
Comment, lui disais-je, avez-vous pu faire pour trouver des ouvriers [aussi habiles] ? Il me répondait : « Ils se sont formés peu à peu dans le pays. Quand on récompense bien ceux qui excellent dans les arts, on est sûr d’avoir bientôt des hommes qui les mènent à leur dernière perfection. Car les hommes qui ont le plus de sagesse et de talents ne manquent point de s’adonner aux arts auxquels les grandes récompenses sont attachées. Ici, on traite avec honneur tous ceux qui réussissent dans les arts et dans les sciences utiles à la navigation. On considère un bon géomètre […] on comble de biens un pilote qui surpasse les autres dans sa fonction : on ne méprise point un bon charpentier ; au contraire, il est bien payé et bien traité. […] C’est ainsi qu’on mène les hommes, sans contrainte, par la récompense et par le bon ordre. L’autorité seule ne fait jamais bien ; la soumission des inférieurs ne suffit pas : il faut gagner les cœurs, et faire trouver aux hommes leur avantage pour les choses où l’on veut se servir de leur industrie »[37].
Fénelon enregistre encore d’autres facteurs favorables au commerce : il conseille d’appliquer des règles strictes, d’assurer la stabilité des monnaies ; de punir sévèrement les banqueroutes[38] et d’interdire les dévaluations qui entament le crédit de l’État.
Il est convaincu qu’il faut assurer la protection des commerçants en recourant à une force militaire.
Fénelon souligne que le commerce est indifférent aux opinions philosophiques ou religieuses des particuliers[39] alors que l’intolérance religieuse risque de faire fuir les manufactures à l’étranger. À l’époque c’était déjà une critique de la Révocation de l’édit de Nantes [1685] dont tout un chacun pouvait apprécier les tristes résultats sur le plan économique.
Que chacun pense ce qu’il veut et l’unité nationale se retrouvera dans la défense de l’intérêt commun. Aux dires d’un contemporain, Robert Challe, Colbert partageait cet avis :
97. M. Colbert tenait pour maxime constante qu’il y avait trois choses dans le royaume auxquelles on ne devait jamais toucher qui sont la religion, le commerce et la monnaie[40].
***
On se souvient volontiers de ce que Voltaire écrivait à propos de Fénelon dans Le Mondain [1736], où il ironisait sur l’utopie paradisiaque du cygne de Cambrai :
Or maintenant, Monsieur du Télémaque,
Vantez-nous bien votre petite Ithaque,
Votre Salente, et vos murs malheureux,
Où vos Crétois, tristement vertueux,
Pauvres d’effets et riches d’abstinence,
Manquent de tout pour avoir l’abondance :
J’admire fort votre style flatteur,
Et votre prose, encor qu’un peu traînante ;
Mais, mon ami, je consens de grand cœur
D’être fessé dans vos murs de Salente,
Si je vais là pour chercher mon bonheur… [41]
Mais on oublie souvent que dans son Catalogue de la plupart des écrivains français qui ont paru dans le Siècle de Louis XIV[42], on trouve une appréciation plus flatteuse de Fénelon, même s’il s’agit surtout qu’un éloge fort vague des qualités de cœur du prélat : « archevêque de Cambrai, né en Périgord en 1651 ; On a de lui cinquante-cinq ouvrages différents. Tous partent d’un cœur plein de vertu, mais son Télémaque l’inspire. Il a été vainement blâmé par Gueudeville & par l’abbé Faidit[43] […].
Après la mort de Fénelon, Louis XIV brûla lui-même tous les manuscrits que le duc de Bourgogne avait conservés de son précepteur…[44] ». Il est vrai que, dans le chapitre sixième du même ouvrage, Voltaire observe : « [le duc de Beauvilliers] était gouverneur du duc de Bourgogne, et pensait en tout comme le précepteur de ce prince, ce célèbre archevêque de Cambrai si connu par ses maximes humaines de gouvernement et par la préférence qu’il donnait aux intérêts des peuples sur la grandeur des rois ». Ce jugement de Voltaire sur la portée de Télémaque révèle plus de sympathie pour son auteur[45] que la plaisante boutade sur « Monsieur du Télémaque… » dont la postérité a gardé le souvenir.
Voltaire observe que « la Compagnie ayant souffert des banqueroutes » est actuellement « tellement perdue de crédit [dans les pays exotiques] que qui que ce soit ne lui veut rien avancer : ce qui concerte avec l’intérêt qu’ont les Hollandais, les Anglais et les autres nations d’Europe de perdre la nôtre de réputation »[46].
Dans la foulée, Voltaire dénonce la mansuétude des juges à l’égard des banqueroutiers, cette indulgence qui entraîne la perte de confiance dans le nom de Français et donc, à plus ou moins longue échéance, la ruine du commerce français[47].
Voltaire se souvient du rôle dynamique de Philippe le Bon (1396-1467) dans les Flandres :
[le duc de Bourgogne] fournissait de ses deniers sans intérêt aux marchands qui se jetaient dans le commerce de mer, pour leur faciliter les moyens de faire des entreprises plus fortes. Ce prince prévoyait que ce commerce de mer ferait un jour la richesse de ses États, & leur apporterait incomparablement plus de lustre & de commodité que celui de terre ne pourrait faire. [48]
Il conseille de s’inspirer de l’exemple fourni par le souverain bourguignon qui subventionnait les commerçants des Flandres, « Que le roi fasse la même chose, il verra le commerce fleurir de lui-même : ses sujets, & lui par conséquent, s’enrichir ; & le royaume ne sera plus obligé d’acheter à un prix excessif les denrées qui lui sont nécessaires, & qu’il ne produit pas, parce qu’elles y viendront de la première main »[49].
Ces pages éveillent l’attention de Voltaire, tout comme celles où il découvre que le souverain peut encore stimuler le commerce en réduisant les taxes :
Ce sage duc ne se mêla jamais du commerce que pour y maintenir la paix et l’union, & surtout la bonne foi. Il savait qu’il n’y avait que le marchand qui connaît la marchandise & le seul commerçant capable de soutenir & de gouverner le commerce ; qu’il fallait y être élevé dès son enfance, pour posséder l’un & l’autre. Je ne dis rien qui soit sujet à censure ; puisque tout est imprimé ; c’est de M. Le Noble[50]. Je dis seulement que ce devrait être un exemple[51].
Dans ses Mémoires, que Voltaire n’avait forcément pas pu lire puisqu’ils sont restés en manuscrit jusqu’au milieu du xxe siècle, Challe dénonce d’autres erreurs des successeurs de Colbert que ce dernier n’aurait pas commises :
99. À l’égard du commerce, on peut assurer que jamais ministre ne s’y est plus appliqué que lui, uniquement par rapport à l’intérêt que le Roi en tirait et à l’utilité et aux richesses qu’il apportait dans le royaume. Car pour son particulier, il est inouï qu’il ait jamais voulu recevoir aucun présent d’aucun marchand, ni qu'il ait été intéressé sur aucun vaisseau ni dans aucune compagnie de commerce, ou s'il l'a fait, comme dans la compagnie des Indes Orientales, ç'a été uniquement dans la vue d'animer les intéressés, et de savoir ce qui se passait parmi eux, [36r°] pour les voir profiter des fruits de son travail, de son application, et de la protection qu'il leur donnait ; et il eût souhaité que le Roi ne s'en fût mêlé uniquement que pour établir l'ordre, l'union et la bonne foi parmi tous les commerçants, et que même, à l'imitation de Jean le Bon, comte de Flandre, il eût fait des présents à ceux qui auraient le mieux réussi, tant pour encourager les autres que pour les mettre eux-mêmes en état de faire de plus grandes entreprises ; et en effet les Hollandais reconnaissent encore aujourd'hui que leurs ancêtres et eux ne doivent leur commerce par tout le monde, et par conséquent leurs richesses, qu'à leur industrie, fomentée et animée par un prince qui entendait si bien ses propres intérêts en facilitant le leur. Mons[ieu]r Colbert savait comme lui que l'argent dispersé à propos dans un pareil sujet était du grain en terre qui rapportait au centuple, tant pour le profit du laboureur que pour celui du maître de la terre où ce grain est porté. Bien éloigné de ceux qui ont fomenté la révocation de l'édit de Nantes, et qui ont mis sur les marchandises de nouvelles taxes, douanes et autres impôts qui n’ont fait en même temps qu’appauvrir le Roi et le royaume, et ruiner les marchands[52].
Les dernières remarques soulignent les dégâts qui résultèrent de la révocation de l’édit de Nantes qui porta un coup fatal à l’économie française. Il est clair pour les contemporains de Fénelon que la liberté des opinions constitue un facteur de stimulation.
Voltaire observe que les sources de la véritable puissance politique reposent essentiellement sur le développement économique et l’essor du commerce international d’une nation qui peut dès lors paradoxalement l’emporter sur la valeur des armées de ses adversaires. L’argent est un levier politique autrement plus puissant que la force militaire. Le commerce régit le monde.
Voltaire souligne l’importance du commerce international, mais il est fort probable qu’elles se sont intégrées à un ensemble d’observations qui se trouvent formulées dès les Lettres philosophiques ou Lettres anglaises (1734). On se souvient que Voltaire y examine l’exemple de l’Angleterre pour le conforter par l’expérience de la République des Provinces-Unies
Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et cette liberté a étendu le commerce à son tour […]. Une petite île qui n’a de soi-même qu’un peu de bled, de plomb, de l’étain, de la terre à foulon, et de la laine grossière, est devenue par son commerce assez puissante pour envoyer en 1723, trois flottes à la fois en trois extrémités du monde…[53].
Il revient plusieurs fois à cette idée dans Le Siècle de Louis XIV. C’est le commerce qui est à l’origine de la richesse, de la puissance et de la grandeur d’un État :
La Hollande n’eût pas subsisté longtemps, si elle se fût bornée à enlever la flotte d’argent des Espagnols, et si les grandes Indes n’avaient pas été l’aliment de sa puissance. L’Angleterre s’est toujours appauvrie par la guerre, même en détruisant les flottes françaises ; et le commerce seul l’a soutenue[54].
Dans son Essai sur les mœurs, Voltaire résumera dans une boutade plaisante le paradoxe que constituent les succès économiques des Provinces-Unies si on les confronte avec la médiocrité de leurs ressources naturelles : « La pêche du hareng et l’art de le saler ne paraissent pas un objet bien important dans l’histoire du monde : c’est cependant ce qui fait d’un pays méprisé et stérile une puissance respectable »[55].
Ainsi donc, les jugements émis par Fénelon dans ses Aventures de Télémaque s’insèrent dans un ensemble de réflexions qui ont marqué profondément et durablement, quoique de façon souterraine, l’œuvre de Voltaire et par voie de conséquence, celles des économistes du temps et plus largement des philosophes du xviiie siècle.
Jacques Cormier
[1] Maximilien de Béthune, duc de Sully (1559-1641), Les Œconomies royales, [1639, p. 257]. Joseph Chailley éd., Paris, Guillaumin & Cie, 1858, p. 96 ou David Buisseret et Bernard Barbiche éd., Société de l’Histoire de France, Paris, Klincksieck, 1970, t. I (1572-1594) ; mes italiques.
[2] En 1596, Barthélemy de Laffémas (1545-1611) rédige un Mémoire pour dresser les manufactures et ouvrages du royaume, Paris, Cl. Monstrœil et Jean Richer, 1597. Le 17 avril 1598, il publie un projet d’édit sur le commerce : Les Trésors et richesses pour mettre l’État en splendeur et montrer au vrai la ruine des François par le trafic et négoce estrangers.
[3] Jean-Baptiste Colbert, né le 29 août 1619, est mort le 6 septembre 1683. Désigné comme Contrôleur général des Finances après l’incarcération de Fouquet, il applique un programme marqué par le protectionnisme et le dirigisme étatique.
[4] Connue en néerlandais sous le nom de Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC, littéralement « Compagnie unie des Indes Orientales ».
[5] Samuel de Champlain, par exemple, avait fondé Port-Royal en Acadie en 1605, mais le port avait été attaqué et détruit par les Anglais en 1613.
[6] Fénelon, Les Aventures de Télémaque, je me sers de l’édition de Jacques Le Brun, Fénelon, Œuvres, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1997 (abréviation dans le texte et dans les notes : Télémaque).
[7] Jean-Baptiste Colbert, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés par Pierre Clément, Paris, Imprimerie impériale, 1861, tome II, p. 268.
[8] Robert Challe, Journal d’un voyage aux Indes orientales, Frédéric Deloffre et Jacques Popin éd., Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », 2002, t. II, p. 158, 24 janvier 1691. [abréviation : JV21 ]
[9] JV21, t. II, p. 16.
[10] Jean-Baptiste Antoine Colbert de Seignelay, né le 1 novembre 1651, est mort le 3 novembre 1690. Il est désigné comme Secrétaire d’État de la Marine après la mort de son père en 1683.
[11] Challe observe dans ses Mémoires (p. 139-140 ; paragraphes 112-113) que Seignelay se faisait envoyer des rapports par tous les Français qui circulaient dans le monde.
[12] Robert Challe, Mémoires, Correspondance complète, Rapports sur l’Acadie et autres pièces, Frédéric Deloffre et Jacques Popin éd., Genève, Droz, 1996, (abréviation dans le texte et dans les notes : Mémoires), p. 140.
[13] Ibid., p. 127.
[14] Ibid., p. 37.
[15] Voir Voltaire, Lettre sur Messieurs Jean Law, Melon et Dutôt, dans Œuvres diverses de M. de Voltaire, Londres [Trévoux], Jean Nourse, 1746, t. IV, p. 324 sq.
[16] Voir Robert Chamboredon, « Des placements de Voltaire à Cadix » dans Cahiers Voltaire (7), Société Voltaire, Ferney-Voltaire, 2008.
[17] Mémoires, p. 194. La phrase de Fénelon est quelque peu différente : « [Les lois de Minos] veulent qu’un seul homme serve par sa sagesse et sa modération, à la félicité de tant d’hommes, et non pas que tant d’hommes servent, par leur misère et par leur servitude lâche, à flatter l’orgueil et l’ambition d’un seul homme » (début du livre V, p. 59).
[18] Mémoires, p. 366.
[19] Ibid.
[20] Ibid., p. 367.
[21] Boisguilbert (Pierre le Pesant, sieur de), Le Détail de la France, La cause de la diminution de ses biens, et la facilité du remède, en fournissant en un mois, tout l’argent dont le Roi a besoin, et enrichissant tout le monde. Édition originale, s.l.s.n., 1696, p. 6-7. Boisguilbert était un parent de Courtilz de Sandras.
[22] Marcel Lachiver, Les Années de misère. La famine au temps du Grand Roi, Paris, Fayard, 1991. Voir aussi le portrait des paysans dans Les Caractères de La Bruyère.
[23] Boisguilbert, Le Détail de la France, p. 6-7.
[24] Ibid., p. 9.
[25] Télémaque, fin du Livre VII, p. 112.
[26] Ibid., Livre XIV, p. 253-254.
[27] Voir Jacques Cormier, « Paysage et politique dans le Journal de voyage de Robert Challe », Université d’Angers, juin 2008, Isabelle Trivisani-Moreau (éd.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 43-54
[28] Télémaque, description de Tyr, livre III, p. 36-37.
[29] Jean-Baptiste Tavernier (1605-1686). Les Voyages de J.-B. Tavernier (rédigés par Chappuzeau et La Chapelle en 1679), étaient très estimés des milieux intéressés par les nouvelles découvertes (Fontenelle, Mme de La Sablière, etc.).
[30] Le Cap est occupé par les Hollandais depuis 1652 ; Challe rapporte qu’un équipage de Français fut fait prisonnier parce que personne à bord ne savait qu’entre l’aller et le retour la France et les Pays-Bas étaient entrés en guerre. Voir ci-dessous, n. 64.
[31] Je cite d’après le Recueil de plusieurs relations de Mr Tavernier, écuyer baron d’Aubonne qui n’ont point été mis dans ses six premiers voyages. Divisé en cinq parties Turquie en Perse et aux Indes, seconde partie où il est parlé des Indes, et des îles voisines, Rouen, Jean-Baptiste Machuël, le jeune, 1713, t. V, chap. III, Observations sur le commerce des Indes Orientales, et sur les fraudes qui s’y peuvent commettre, p. 158-159.
[32] Voltaire, Essai sur les mœurs, chap. CLXXXVII (De la Hollande au dix-septième siècle) ; mes italiques.
[33] William Temple, Remarques sur l’état des Provinces Unies des Pays-Bas faites en l’an 1672 par Monsieur le chevalier Temple, Seigneur de Shene, Baronet, Ambassadeur du Roi de la Grande Bretagne auprès des Provinces-Unies et aux traités d’Aix-la-chapelle en 1668, [La Haye, Jean et Daniel Steucker, 1674] Utrecht, Antoine Schouten, 1706. William Temple, ambassadeur de Charles II, correspondait avec le Grand Pensionnaire Jan de Wit. Ces observations, un texte vite devenu célèbre, traduites par le Sieur Le Vasseur, ont été rédigées peu après 1672 à voir le titre du chapitre VIII. On trouve d’intéressantes observations sur le commerce des Pays-Bas p. 196-200 (mes italiques).
[34] « La franchise, la bonne foi, la candeur, semblaient, du haut de ces superbes tours, appeler les marchands des terres les plus éloignées », Télémaque, éd. cit., Livre X, p. 159.
[35] Ibid., Livre III, p. 37-38.
[36] Ibid., Livre III, p. 39 ; dans le Livre X, Fénelon observe que « la liberté du commerce était entière ; bien loin de les gêner par des impôts, on promettait une récompense à tous les marchands qui pourraient attirer à Salente le commerce de quelque nouvelle nation », p. 159.
[37] Ibid., Livre III, p. 39.
[38] Ibid., Livre X, p. 159 : « Il [Mentor] voulut qu’on punît sévèrement toutes les banqueroutes, parce que celles qui sont exemptes de mauvaise foi ne le sont presque jamais de témérité. En même temps il fit des règles pour faire en sorte qu’il fût aisé de ne faire jamais banqueroute : il établit des magistrats à qui les marchands rendaient compte de leurs effets, de leurs profits, de leurs dépenses et de leurs entreprises. Il ne leur était jamais permis de risquer le bien d’autrui… ».
[39] « Recevez bien et facilement tous les étrangers », Télémaque, Livre III, p. 37.
[40] Mémoires, p. 126. La situation du commerce international à Bordeaux, au cours du xviiie siècle, qui attire des négociants et des armateurs issus de différents horizons, protestants ou catholiques, place la ville au cœur des échanges internationaux. Le dynamisme de son négoce maritime justifie concrètement le jugement de Colbert.
[41] Le Mondain, vers 66.
[42] Le Siècle de Louis XIV, (texte de l’éd. Walther, 1753), Jacqueline Hellegouarc’h et Sylvain Menant éd., Paris, Livre de poche, 2005, p. 918 [ tome II, chap. XXVI-XXXIX ].
[43] Le Siècle de Louis XIV, (éd. Walther, 1753), Jacqueline Hellegouarc’h et Sylvain Menant éd., Paris, Livre de poche, 2005, p. 918.
[44] Cette dernière phrase est un complément de la notice parue dans l’Essay sur l’Histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nations, depuis Charlemagne..., [éd. Cramer, s.l. ], 1763, tome huitième ou Suite tome troisième, p. 64.
[45] Le Siècle de Louis XIV, (éd. Walther, 1753), éd. cit., p. 415-416, 731-733 et 856-857.
[46] JV21, t. II, p. 145-146.
[47] JV21, t. II, p. 138.
[48] JV21, t. I, p. 345 (mes italiques).
[49] Ibid.
[50] La référence à l’exemple bourguignon présenté par Philippe de Comines est implicite dans l’ouvrage d’Eustache Le Noble, que cite Challe, Histoire de l’établissement de la République de Hollande, Les Œuvres de M. Le Noble, Paris, Pierre Ribou, 1718, tome V, « Ce pays était d’une richesse immense sous la royale maison de Bourgogne, […] ce bon duc Philippe gouverna ses Ẻtats avec tant de douceur et de prudence qu’il combla ses peuples de richesses, & s’en fit aimer au-delà de ce qu’on peut imaginer » (p. 17), (ouvrage cité dans le JV21, t. I, n. 468). ‒ Cette référence constitue certainement un lieu commun puisqu’on la trouve aussi dans l’Essai de William Temple qui dit explicitement se référer à Philippe de Comines : « la merveilleuse augmentation du commerce, qui se fait à Bruges, à Gand & à Anvers, dont Philippe de Comines attribue la cause à la bonté des princes, qui mettoit le peuple à son aise & en seureté, rendit Philippes, & Charles le Hardy, son fils, si puissants, que leurs forces n’étoient pas inégales à celles de la France… », Chevalier Temple, Seigneur de Shene, Baronet, Ambassadeur du Roi de la Grande Bretagne…, Remarques sur l’état des Provinces-Unies des Pays-Bas, Utrecht, Antoine Schouten, 1706, p. 18.
[51] JV21, t. I, p. 345.
[52] Mémoires, p. 127-128 (mes italiques).
[53] Voltaire, Lettres philosophiques ou Lettres anglaises, chapitre XII, « Sur le commerce ». Il revient encore sur cette idée en 1772 dans ses Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie : « [Les Anglais] ne savaient pas quand ils gagnaient les batailles d’Azincourt, de Crécy, & de Poitiers qu’ils pouvaient vendre beaucoup de blé, & fabriquer de beaux draps qui leur vaudraient bien davantage. Ces seules connaissances ont augmenté, enrichi, fortifié la nation [...]. C’est uniquement parce que les Anglais sont devenus négociants que Londres l’emporte sur Paris par l’étendue de la ville & le nombre des citoyens ; qu’ils peuvent mettre en mer deux cents vaisseaux de guerre, & soudoyer des rois alliés » (chap. XXIII).
[54] Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, éd. cit., p. 707. L’édition de Kehl porte enrichie au lieu de soutenue.
[55] Essai sur les mœurs, chap. CLXIV, cité par Patrick Neiertz dans « La Hollande et Voltaire : mythes et réalités », Revue Voltaire (15), Paris, 2015, p. 101.