maintenon

La vengeance de Mme de Maintenon

Un courrier de 1723

 

Lettres historiques et galantes de deux dames de condition

par Madame Dunoyer

 

Cologne. Chez Pierre Marteau 1723

 

[…]«  Mais je vois bien que Monsieur de Cambrai vous tient au cœur, et qu’il faut vous conter son aventure Pour cela il faut développer une misère qui n’est su que de peu de personnes. Vous savez qu’on  ne doute point ici que le roi n’ait épousé depuis longtemps Madame de Maintenon, cela a paru à bien des marques et au peu de ménagement qu’elle a gardé avec Monseigneur et avec Madame la princesse de Conti.

 

Enfin, on dit que l’envie d’être reine déclarée lui a pris depuis quelques temps et qu’elle en a fort persécuté le roi. Il a refusé quelques temps mais enfin, dans un de ses moments de tendresse, il lui promit de consulter un conseiller la dessus. Madame de Maintenon crut son affaire en bon train, ne doutant pas que le Père La chaise ne fut bien aise de lui faire la cour dans cette occasion : mais il était trop bon politique et il savait trop bien qu’on ne saurait se déclarer pour un parti sans devenir la victime de l’autre ; c’est pourquoi il eut assez d’habileté pour se tirer d’affaire en fin jésuite ; et il dit au roi qu’il ne se croyait pas assez bon casuiste pour décider une question aussi importante et qu’il le priait de trouver bon qu’il consultât la dessus une personne éclairée et dont il répandait.

 

Le roi ne voulut pas que son secret fut connu. Mais quand le père La Chaise lui nomma Monsieur de Fénelon, il n’eut point de peine à  le lui confier et dit au père de l’aller chercher ; Dès que cet archevêque sut de quoi il s’agissait, il fut fort chagrin et dit au jésuite, que vous ai-je fait, mon Père, vous me perdez !  N’importe ajouta-t-il, allons trouver le roi. Il les attendait dans son cabinet. Le prélat se jeta à ses pieds en y entrant et le pria de ne point le sacrifier. Le roi le lui promit et ensuite lui proposa le cas ;

« Monsieur de Fénelon, avec l a droiture ordinaire lui représenta le tord qu’il se ferait en déclarant le mariage et les suites fâcheuses que pouvait avoir cette déclaration. Le roi goutant la solidité de ses raisons résolut d’en rester là.

Madame de Maintenon eut beau le presser, il lui dit que cela ne se pouvait. Elle lui demanda si c’était le Père  La Chaise qui l’en avait dissuadé. Le roi refusa quelques temps de lui dire ce qui en était ; mais enfin par une faiblesse qu’on ne peut que condamner, il dit la chose comme elle c’était passée : Madame de Maintenon dissimula son chagrin et forgea à la vengeance.

Elle l’a d’abord fait tomber sur le prélat mais le jésuite aura son tour bien qu’il ne soit coupable que du péché d’omission.

On a été longtemps embarrassé à chercher par quel endroit on pourrait attaquer Monsieur de Cambrai qui n’a jamais   donné de prise sur lui.

Enfin, Monsieur de Meaux, qui était fâché que le roi ne lui eut pas confié l’éducation de  Monseigneur le duc de Bourgogne et que l’abbé de Fénelon l’eût  emporté sur lui. A force de feuilleter un livre ou le prélat traite du pur Amour, il crut pouvoir, avec le secours de ses  ruses, donner une mauvaise interprétation à certaines expressions, qui ne sont pas plus outrées que celles de Sainte Thérèse et de quantité d’autres que l’Eglise révère. Il donna cet avis à Madame de Maintenon qui lui avait remis le soin de la vengeance et qui n’en a pas voulu manquer l’occasion. On craint qu’elle ne la pousse loin.

 

Monsieur de Cambrai est dans son diocèse qui en attend les effets avec la tranquillité que donne une bonne conscience ; il n’est plus précepteur des princes. On a chassé tous les parents qu’il avait dans le service et un de ses frères qui était dans la Marine a été aussi renvoyé. Les jésuites s’attendent à un pareil sort [ .]